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qu’elles sont aujourd’hui, toute l’idéologie bourgeoise serait conservée ; l’État bourgeois dominerait avec tous ses anciens abus ; la décadence économique s’accentuerait si elle était commencée.

Bientôt surgirent les invasions barbares : plus d’un chrétien se demanda si, enfin, n’allait pas naître un ordre conforme aux principes de la nouvelle religion ; cette espérance était d’autant plus raisonnable que les barbares se convertissaient en entrant sur l’Empire et qu’ils n’étaient pas habitués aux corruptions de la vie romaine. Au point de vue économique, on pouvait espérer une régénération, puisque le monde périssait sous le poids de l’exploitation urbaine ; les nouveaux maîtres, ayant des mœurs rurales grossières, ne vivaient pas en grands seigneurs, mais en chefs de grands domaines ; peut-être alors la terre serait-elle mieux cultivée. On peut comparer les illusions des auteurs chrétiens contemporains des invasions à celles de nombreux utopistes qui espéraient voir le monde moderne régénéré par les vertus qu’ils attribuaient aux hommes de moyenne condition : le remplacement de classes très riches par de nouvelles couches sociales devait amener la morale, le bonheur et la prospérité universelle.

Les Barbares ne créèrent point de sociétés progressives ; ils étaient peu nombreux et presque partout ils se substituèrent simplement aux anciens grands seigneurs, menèrent la même vie qu’eux et furent dévorés par la civilisation urbaine. En France, la royauté mérovingienne a été soumise à des études particulièrement approfondies : Fustel de Coulanges a employé toute son érudition à mettre en lumière le caractère conservateur qu’elle