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Je crois bien que l’on pourrait même étendre le principe de la conservation aux choses militaires et montrer que les armées de la Révolution et de l’Empire furent une extension d’institutions antérieures. En tout cas il est assez curieux que Napoléon n’ait point fait d’innovations sérieuses dans le matériel et que ce soient les armes à feu de l’Ancien Régime qui aient tant contribué à assurer la victoire aux troupes révolutionnaires. C’est seulement sous la Restauration que l’on modifia l’artillerie.

La facilité avec laquelle la Révolution et l’Empire ont réussi dans leur œuvre, en transformant si profondément le pays, tout en conservant une si grande quantité d’acquisitions, est liée à un fait sur lequel nos historiens n’ont pas toujours appelé l’attention et que Taine ne semble pas avoir remarqué : l’économie productive faisait de grands progrès et ces progrès étaient tels que vers 1780 tout le monde croyait au dogme du progrès indéfini de l’homme[1]. Ce dogme, qui devait exercer une si grande influence sur la pensée moderne, serait un paradoxe bizarre et inexplicable si on ne le considérait pas comme lié au progrès économique et au sentiment de confiance absolue que ce progrès économique engendrait. Les guerres de la Révolution et de l’Empire ne firent que stimuler encore ce sentiment, non seulement parce qu’elles furent glorieuses, mais aussi parce qu’elles firent

  1. Tocqueville, L’Ancien Régime et la Révolution, pp. 283-288, p. 292, et Mélanges, p. 62. Cf. le chapitre iv, § iv, de mon étude sur les illusions du progrès (Rivière, éditeur).