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qu'elle lui eût donné ses propres lois, elle la tiendrait dans une grande dépendance… » Voilà l'excès, l'effort et l'abus du procédé. Pour vouloir raffiner sur les insinuations et ne parler qu’à demi-mot aux gens entendus, Montesquieu en arrive aux pires conséquences : l’embarras et la lourdeur dans la subtilité. Oh ! qu’il est plus grand lorsqu’il ose être lui-même et appeler les choses par leur nom ! Que n’a-t-il écrit toute cette pénétrante étude des mœurs politiques de l’Angleterre, de la plume qui, quelques pages plus loin, au livre suivant, expose d’un trait magistral l’Esprit de l'Angleterre sur le commerce. « D’autres nations ont fait céder des intérêts du commerce à des intérêts politiques : celle-ci a toujours fait céder ses intérêts politiques aux intérêts de son commerce. C’est le peuple du monde qui a le mieux su se prévaloir à la fois de ces trois grandes choses : la religion, le commerce et la liberté. » Au lieu d’un tableau dans le goût de Paul Véronèse, comme le dit finement Voltaire, d’un tableau « avec des couleurs brillantes, de la facilité de pinceau et quelques défauts de costume », Montesquieu eût laissé une peinture à la Rembrandt, une image lumineuse et concentrée de la réalité.

Si Montesquieu en use de la sorte par circonspection, il le fait plus souvent par goût et coquetterie de bel-esprit. Un certain mystère dans le langage est de bon ton et relève un sujet, en soi, ingrat et sévère. La généralisation, qui est parfois un voile