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national des Anglais, qui échappait aux regards des Européens du continent. Il a réfuté, d’un trait de plume, ce préjugé qui a trompé si longtemps les Français, abusé les conventionnels et perdu Napoléon. Il a, en un mot, prévu Pitt et discerné le caractère formidable de la guerre de vingt-trois ans, lorsqu’il a porté ce jugement, qui, induit des faits et confirmé par l’histoire, mérite d’être comparé aux plus fortes hypothèses scientifiques : « Si quelque puissance étrangère menaçait l’État, et le mettait en danger de sa fortune ou de sa gloire ; pour lors, les petits intérêts cédant aux plus grands, tout se réunirait en faveur de la puissance exécutrice… Cette nation aimerait prodigieusement sa liberté, parce que cette liberté serait vraie ; et il pourrait arriver que, pour la défendre, elle sacrifierait son bien, son aisance, ses intérêts ; qu’elle se chargerait des impôts les plus durs, et tels que le prince le plus absolu n’oserait les faire supporter à ses sujets… Elle aurait un crédit sûr, parce qu’elle emprunterait à elle-même et se payerait elle-même. Il pourrait arriver qu’elle entreprendrait au-dessus de ses forces naturelles, et ferait valoir contre ses ennemis d’immenses richesses de fiction, que la confiance et la nature de son gouvernement rendraient réelles. »

On s’arrêterait volontiers devant cette large perspective ; mais on n’aurait qu’une idée incomplète des vues de Montesquieu sur les gouvernements et sur les lois qui découlent de la nature et du principe des