Page:Sophocle - Tragédies, trad. Artaud, 1859.djvu/86

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toute l’action ; son inconsolable douleur, sa soif de vengeance, sa tendresse pour son frère, forment une suite non interrompue de tableaux et de mouvements sublimes. On ne peut trop admirer l’art exquis avec lequel le poète a varié les nuances d’un même sentiment. Quelle poétique peinture, lorsque dans son premier dialogue avec le Chœur, elle retrace la nuit terrible qui vit l’assassinat d’Agamemnon ! Bientôt le récit du songe menaçant de Clytemnestre fait luire à ses yeux l’espoir de voir paraître un vengeur ; sa douleur en est d’autant plus violente, lorsqu’elle apprend la mort de son frère ; les plaintes qu’elle fait entendre sur l’urne funéraire d’Oreste sont un morceau à jamais célèbre par le pathétique et la vérité ; la tendresse fraternelle n’a jamais trouvé d’accents plus touchants. Dans l’énergie passionnée qu’il a donnée à Électre, peut-être Sophocle a-t-il poussé à l’excès sa haine implacable pour sa mère ; elle va jusqu’à la barbarie : il a mis en œuvre toutes les ressources de son art pour faire admettre ce caractère farouche et résolu, et pour légitimer en quelque sorte, ou du moins pour faire comprendre l’atrocité de l’action que ce caractère doit enfanter.

Chrysothémis, la jeune sœur d’Electre, contraste avec elle par son caractère timide ; elle plaît surtout par la touchante douceur avec laquelle elle répond aux reproches de sa sœur. Un rapprochement naturel se présente entre le caractère des deux sœurs, dans Électre et dans Antigone. Chrysothémis a la douceur et la timidité d’Isméne, Électre a toute la passion et l’énergie d’Antigone. Ce contraste résulte naturellement de l’analogie des rôles.

Ce que nous avons déjà dit suffit pour faire concevoir le reproche des critiques qui ont accusé Sophocle d’avoir sacrifié le rôle d’Oreste à celui d’Électre. Oreste, en effet, n’a pas de physionomie originale ; il parle à peine de son père, il égorge sa mère sans frémir, et il prend ensuite un ton ironique avec Egisthe. Les sentiments passionnés lui semblent étrangers ; il éprouve seulement à la vue de sa sœur une émotion passagère, qui ne se soutient pas. Toutefois, ne nous hâtons pas de condamner le poète. Peut-être une