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TECMESSE.

Au nom des dieux, laisse-toi fléchir.

AJAX.

Tu me parais insensée, si tu crois pouvoir à présent réformer mon caractère[1].



LE CHŒUR.

(Strophe 1.) Illustre Salamine, tu résides au milieu des mers, toujours heureuse et environnée de gloire ; et moi, malheureux, voilà bien longtemps que j’attends la conquête des champs par le cours de l’Ida, sans honneur, continuellement tout flétri par le cours invariable des années, gardant encore la triste espérance de descendre un jour à l’odieux et ténébreux séjour de Pluton...

(Antistrophe 1.) À mes douleurs se joignent celles d’Ajax[2], frappé d’un mal sans remède, hélas ! en proie à un délire envoyé par les dieux ; celui que tu envoyas jadis vainqueur dans les combats de Mars, privé maintenant de sa raison, est pour ses amis un sujet de deuil ; les anciens exploits de sa valeur, accomplis par ses mains vaillantes, n’ont rencontré que l’ingratitude et l’oubli des ingrats Atrides.

(Strophe 2.) Ah ! certes, sa mère, chargée d’années et blanchie par l’âge, quand elle apprendra le malheur de son fils et l’égarement de sa raison, ce ne seront ni de doux gémissements ni les accents plaintifs du rossignol que l’infortunée fera entendre, mais elle éclatera en cris perçants et lamentables ; elle se frappera la poitrine de coups redoublés et arrachera ses cheveux blancs.

(Antistrophe 2.) Plus heureux serait Ajax caché dans la nuit infernale, troublé par un incurable délire ; lui qui, issu d’une race illustre entre les héros grecs, au

  1. Pendant le Chœur suivant, Ajax reste sur la scène, réfléchissant aux moyens de se donner la mort.
  2. Le texte ajoute : ἔφεδρος, mot qui désignait dans les jeux publics le combattant prêt à prendre la place du vaincu, et à lutter avec le vainqueur. (Voy. le Rhésus d’Euripide, v. 119 et 9S4 ; les Grenouilles d’Aristophane, v. 792).