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époux. Et moi, je redis ce que m’a raconté ma mère[1] ; la jeune fille attendait tristement l’issue du combat dont elle était le prix, puis elle s’éloigna de sa mère, comme une génisse délaissée.



DÉJANIRE.

Tandis que Lichas, prêt à partir, s’entretient avec les captives dans le palais, j’en suis sortie secrètement, chères amies, pour vous faire part du projet que je médite, et aussi déplorer avec vous mes infortunes ! Car ce n’est plus une vierge, non, je le pense, c’est une épouse que j’ai reçue, comme le nautonnier reçoit sur son navire une charge pesante, prix[2] humiliant de mon cœur dévoué. Et maintenant, nous voilà deux sur une même couche, destinées aux mêmes embrassements. Tel est le salaire dont le fidèle et honnête Hercule, comme je l’appelais, paye mes soins, pendant notre longue union. Je ne saurais pourtant m’irriter des folles et nombreuses passions auxquelles il est sujet, mais quelle femme pourrait vivre sous le même toit avec sa rivale, et consentir au partage de son époux ? Car, je le vois, sa jeunesse et ses charmes se développent, et les miens se flétrissent. L’œil de l’homme aime à ravir la fleur, et dédaigne la beauté flétrie. Je crains donc qu’Hercule ne me laisse plus que le nom d’épouse, et ne réserve son amour à la jeune captive. Quoi qu’il en soit, comme je l’ai dit, la colère ne sied pas à une femme sensée ; mais, chères amies, le remède que j’ai contre elle, pour calmer ma douleur, je vais vous le dire. J’avais depuis longtemps conservé dans un vase d’airain un antique présent du vieux centaure qui n’est plus ; encore enfant, je le reçus de Nessos, à la poitrine velue, au moment de sa mort ; il

  1. Cette opposition des jeunes Trachiniennes, qui ne connaissent l’amour que par les récits maternels, avec Déjanire, qui n’avait pas même les consolations de sa mère, n’est pas sans délicatesse.
  2. ᾽Εμπόλημα, emplette.