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pour des enfants[1] ; alors, en regardant son propre état, elle connaîtrait les maux qui m’accablent. J’ai eu bien des malheurs à déplorer ; mais le plus cruel que j’aie jamais connu, je vais vous le dire : Lorsque Hercule quitta son palais pour ce dernier voyage, il me laissa d’antiques tablettes, sur lesquelles étaient écrites ses volontés, ce que jamais encore il n’avait jugé à propos de me faire connaître, quand il allait à ses autres combats ; il y marchait alors comme à la victoire, et non à la mort. Mais aujourd’hui il parle en époux expirant, il règle l’héritage auquel j’ai droit pour ma dot, et fait le partage de ses biens entre ses fils, enfin, il marque un terme fatal ; s’il reste, dit-il, un an et trois mois absent de cette contrée, alors dans cet intervalle, il doit mourir ; ou s’il franchit ce terme, il jouira désormais d’une vie exempte de peines[2]. Tel est, dit-il, l’arrêt des dieux sur la fin des travaux d’Hercule ; ainsi parla jadis le chêne antique de Dodone[3], par la voix de deux colombes. Or, nous sommes aujourd’hui au temps même où ces prédictions doivent s’accomplir. C’est là, mes amies, ce qui pendant les douceurs du sommeil me fait tressaillir d’effroi, dans la crainte qu’il ne me faille survivre au plus grand des héros.



LE CHŒUR.

Aie à présent bon espoir ; car je vois un homme venir

  1. C’est l’idée que Racine a développée dans Andromaque, acte III, sc. 4 :
    Mais il me reste un fils. Vous saurez quelque jour,
    Madame, pour un fils jusqu’où va notre amour ;
    Mais vous ne saurez pas, du moins je le souhaite,
    En quel trouble mortel son intérêt nous jette,
    Lorsque de tant de biens qui pourraient nous flatter,
    C’est le seul qui nous reste, et qu’on veut nous l’ôter.
  2. Les éditions de Dindorf et de F. Didot suppriment ces trois derniers vers.
  3. Sur l’oracle de Dodone, voyez Iliade, XVI, 233-53 et II, 750 ; Odyssée, XIV, v. 327-8 ; Hérodote, II, c. 56 et 57. Hésiode avait aussi parlé du chêne sacré des Pélasges à Dodone, dans un fragment conservé par Strabon, l. VII. Voir aussi Religions de l’antiquité, par Guigniaut, t. II, p. 536 et suivantes.