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NÉOPTOLÈME.

Il est vrai, il n’entend plus. Mais je vois que la possession de ces flèches, devenues notre proie, est inutile, si nous mettons à la voile sans lui ? Car c’est à lui qu’est réservée la victoire, c’est lui que les dieux nous ordonnent d’emmener à Troie. Se vanter d’un succès incomplet, obtenu par le mensonge, est une honte et un opprobre.

LE CHŒUR.

(Antistrophe.) Quant à ceci, mon fils, les dieux y pourvoiront ; mais si tu as encore quelque réponse à me faire, parle bas, mon fils, parle à voix basse ; car le sommeil d’un malade est léger et ses yeux s’ouvrent bientôt[1]. Examine donc mûrement et en toi-même ce que tu veux faire ; si ton intention s’accorde avec ses vœux (tu sais de qui je parle[2]), ce parti offre des embarras inextricables même aux plus habiles.

(Épode.) Le vent se lève, mon fils, le vent est favorable ; cet homme, les yeux fermés, sans défense, est gisant comme dans les ténèbres de la nuit, son sommeil profond nous est favorable ; sans pouvoir faire usage de ses mains ni de ses pieds, il a toute l’apparence d’un mort plongé dans les enfers. Vois si ce que tu dis est à propos ; mais ce qui est clair à mon bon sens, c’est qu’une entreprise sans péril est de beaucoup la meilleure.

NÉOPTOLÈME.

Je t’engage à faire silence, et à ne pas perdre ta présence d’esprit, car il ouvre les yeux et lève la tête.

PHILOCTÈTE.

O clarté qui succède au sommeil ! hôtes qui veillez sur moi, et que je n’espérais pas revoir ! Car jamais, mon fils, je ne t’aurais jamais cru assez de pitié et de courage

  1. Littéralement : « car dans la maladie, le sommeil sans sommeil est clairvoyant, pour tout voir. »
  2. On voit assez que le Chœur s’exprime de manière à ne pouvoir être compris de Philoctète, si celui-ci venait à l’entendre. C’est pourquoi il évite de prononcer son nom.