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NÉOPTOLÈME.

Non, certes, je ne te laisserai pas.

PHILOCTÈTE.

Je meurs si tu me touches.

NÉOPTOLÈME.

Eh bien ! je te laisse, si tu es plus maître de tes sens.

PHILOCTÈTE.

O terre, reçois un mourant[1] ! car ce mal ne me permet plus de me relever.

NÉOPTOLÈME.

Le sommeil, je crois, va bientôt s’emparer de lui, voyez, sa tête se renverse, une sueur abondante coule de tout son corps, sa plaie s’ouvre, et un sang noir s’en échappe[2]. Mais laissons-le tranquille, mes amis, pour qu’il s’endorme paisiblement.



LE CHŒUR.

(Strophe.) Sommeil, toi qui ne connais ni la douleur ni les chagrins, étends sur nous ta douce influence, toi qui répands tant de charme sur la vie ! et épaissis sur ses yeux les ténèbres[3] qui y sont déjà ; viens, ô sommeil qui guéris tous les maux ! Mais toi, mon fils, songe au parti que tu dois prendre, faut- il rester ? faut-il partir ? Considère aussi les soins auxquels j’aurai moi-même à veiller par la suite. Vois-tu ? qu’attendons-nous pour agir ? L’occasion, qui décide de tout, donne la puissance à qui sait la saisir.

  1. Le texte ajoute ὅπως ἔχω, « comme je suis, » c’est-à-dire, sans délai.
  2. Littéralement : « Une veine noire s’est rompue au bout de son pied, et le sang en jaillit. »
  3. Τάν δ᾿αἲγλαν, « cette lumière, » qui sur ses yeux est réellement de l’obscurité. C’est ainsi qu’Euripide, dans les Troyennes, vers 549, a dit πυρὸς μέλαιναν αἲγλαν.