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mon fils ; je t’engage à partir en toute hâte, toi et ceux qui peuvent t’intéresser.

PHILOCTÈTE.

Hélas ! infortuné ! cet Ulysse, cet être tout malfaisant[1], il a juré de me ramener au camp des Grecs, et par persuasion. Me persuader ! il me persuaderait tout aussi bien de revenir des enfers à la lumière du jour, comme autrefois son père[2].

LE MARCHAND.

Je ne sais ce que tu veux dire ; mais je retourne à mon vaisseau : que Dieu vous accorde ses plus grandes faveurs !

(Il sort.)



PHILOCTÈTE.

O mon fils ! qui ne s’indignerait que le fils de Laërte ait osé espérer pouvoir un jour, par de douces paroles, me ramener sur son navire au milieu des Grecs ? Non, non ; j’écouterais plutôt l’odieuse vipère qui m’a rendu ainsi boiteux. Mais il n’est rien qu’il ne dise, rien qu’il n’ose. Et maintenant, j’en suis certain, il viendra. Partons donc, mon fils, et qu’une vaste mer nous sépare du vaisseau d’Ulysse. Partons ; car se hâter à propos permet de trouver un repos sans trouble, après la fatigue.

NÉOPTOLÈME.

Eh bien ! quand le vent, qui maintenant souffle de la proue, sera tombé, nous mettrons à la voile ; car maintenant il est contraire.

PHILOCTÈTE.

La navigation est toujours heureuse, quand on fuit le malheur.

  1. Πᾶσα βλάβη : expression qui se retrouve dans l’Électre, de Sophocle, vers 301, en parlant d’Égisthe : Ό Πάντ᾿ ἄναλκις οὗτος, ἡ πᾶσα βλάβη.
  2. Sisyphe, étant mort, sut tromper Pluton, et lui demanda de le laisser revenir sur la terre pour quelque temps. Il voulait seulement punir son ingrate épouse. Pluton y consenti : Sisyphe, une fois sorti des enfers, ne se pressa pas de revoir les sombres bords.