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homme fut plus prudent qu’Ajax ? ou qui était plus brave quand il fallait agir ?

ULYSSE.

Je n’en connus jamais ; cependant j’ai pitié de son malheur, quoiqu’il soit mon ennemi, quand je le vois en proie à un mal si terrible ; et ce n’est pas son sort plus que le mien que je considère ; je vois que tous dans cette vie nous ne sommes que des fantômes ou une ombre vaine[1].

MINERVE.

Devant un tel spectacle, garde-toi donc de jamais outrager les dieux par des paroles superbes, et de t’enorgueillir si tu l’emportes sur d’autres par ta force ou par tes richesses ; un seul jour abaisse ou relève les grandeurs humaines ; les dieux aiment les hommes modestes et détestent les méchants.

(Il sortent tous deux.)



LE CHŒUR.

Fils de Télamon, qui règnes sur Salamine baignée de tous côtés par les flots, ta prospérité fait ma joie ; mais si la colère de Jupiter ou les discours injurieux des Grecs ingrats viennent à te poursuivie, alors je crains et je tremble pour toi, comme la timide colombe[2]. Et maintenant de grandes vociférations répétées à ton déshonneur nous ont appris que la nuit dernière, t’élançant dans la prairie où paissent les coursiers, tu as égorgé les troupeaux des Grecs, et détruit ce qui restait encore du butin avec un fer étincelant. Ulysse ourdit lui-même ces sourdes calomnies ; il les murmure à l’oreille et les persuade adroitement. Le mal qu’il dit de toi

  1. Ceci rappelle l’expression de Pindare : « L’homme est le songe d’une ombre » (Pyth., VIII, 135), et un fragment d’Ajax le Locrien.
  2. Le texte dit : « L’œil de la colombe. » En effet l’œil des oiseaux timides est un indice de leur crainte. Un des scholiastes fait cette remarque : « Lorsque la colombe entend quelque bruit, elle cligne des yeux. »