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vanter, lorsque, en voulant louer les dieux, je les trouve si injustes[1] ?

NÉOPTOLÈME.

Pour moi, Philoctète[2], désormais regardant de loin Ilion et les Atrides, je me préserverai de leur contact ; là où le pervers prévaut sur l’homme de bien, quand l’homme de cœur succombe et que le lâche l’emporte, je ne saurais jamais aimer de tels hommes. Désormais, Scyros avec ses rochers me suffira, et je vivrai content dans mon palais. Maintenant je retourne à mon vaisseau. Et toi, fils de Pœas, adieu, sois aussi heureux que possible, et que les dieux te délivrent de ton mal, comme tu le désires toi-même. Pour nous, quittons ces lieux, pour qu’à l’instant où les dieux nous donneront un vent favorable, nous puissions mettre à la voile.

PHILOCTÈTE.

Quoi ! mon fils, déjà vous partez !

NÉOPTOLÈME.

Oui ; le moment de mettre à la voile est plus facile à saisir de près que de loin.

PHILOCTÈTE.

Par ton père, par ta mère, ô mon fils ! par tout ce que tu as de plus cher dans ta famille, je te conjure en suppliant, ne me laisse pas ainsi seul, abandonné, en proie aux maux que tu vois, et dont tu as entendu le récit ; prends-moi comme surcroît[3]. Je n’ignore pas combien ce fardeau te sera à charge ; cependant supporte-le ; oui, les âmes généreuses détestent les bassesses et mettent leur gloire dans ce qui est honnête. Pour toi, si tu t’y

  1. Claudien, Contre Rufin, I, 12, semble avoir imité ce passage :
    Sed, quum res hominum tanta caligine volvi
    Adspicerem, lætosque diu florere nocentes,
    Vexarique pios, rursus labefacta cadebat
    Relligio.
  2. Littéralement : « fils d’un père Œtéen. » L’Œta, montagne de Thessalie : là sont les Thermopyles.
  3. Έν παρέργῳ, accessoire, hors-d’œuvre. Dans l’Électre d’Euripide, vers 53, « il nous regarde Oreste et moi, comme des hors-d’œuvre dans le palais. » Voyez aussi Hélène, 933.