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NÉOPTOLÈME.

Je te le dirai, fils de Pœas ; mais je puis à peine redire l’outrage que j’ai reçu d’eux, à mon arrivée devant Troie. Car après que la Parque eut tranché les jours d’Achille...

PHILOCTÈTE.

Ciel ! ne dis pas un mot de plus, avant que je sache si vraiment le fils de Pelée est mort ?

NÉOPTOLÈME.

Il est mort, non de la main d’un mortel, mais de celle d’un dieu ; Phœbus, dit-on, l’a percé de ses traits[1].

PHILOCTÈTE.

Noble fut le vainqueur, noble fut la victime ! Mais je ne sais, mon fils, si je dois d’abord m’informer de tes infortunes, ou pleurer sur les siennes.

NÉOPTOLÈME.

Tu as, je crois, assez de tes propres douleurs, infortuné, sans pleurer encore sur celles d’ autrui !

PHILOCTÈTE.

Il est vrai ; reprends donc de nouveau le récit de l’outrage qu’ils t’ont fait.

NÉOPTOLÈME.

Le divin Ulysse et celui[2] qui avait élevé mon père vinrent me chercher sur un navire peint de diverses couleurs, disant, était-ce vrai ou faux, je l’ignore, que, depuis la mort de mon père, le Destin ne permettait pas à un autre qu’à moi de prendre la citadelle de Troie. Tel était leur langage, ô étranger, et je ne mis pas de longs délais à m’embarquer, surtout pressé du désir de voir mon père, au moins avant qu’il fût enfermé dans la tombe, car je ne l’avais jamais vu : cependant un noble motif m’animait encore, l’espoir de prendre la citadelle

  1. Selon la prédiction d’Hector, dans l’Iliade, XXII, 359 : « En ce jour où, malgré ta vaillance, Pâris et Apollon t’immoleront devant les portes Scées. » Ce que rappelle Virgile, Énéide, VI, 57 :
    Dardana qui Paridis direxti tela manusque
    Corpus in Æacidæ.
  2. Phénix.