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vaient, m’adressaient des paroles compatissantes, quelquefois même ils me laissaient, par pitié, un peu de nourriture et quelques habits ; mais nul ne veut, dès que j’en parle, me sauver en me rendant à ma patrie. Ainsi voilà dix ans, qu’infortuné, en proie aux douleurs et à la faim, je nourris une plaie qui me dévore. Tels sont, ô mon fils, les maux que m’ont faits les Atrides et Ulysse ; puissent les dieux de l’Olympe leur faire payer à leur tour le prix de mes souffrances[1] !

LE CHŒUR.

Moi aussi, fils de Pœas, je n’aurai pas pour toi moins de pitié que les étrangers qui t’ont visité avant moi.

NÉOPTOLÈME.

Moi-même, je puis rendre témoignage à la vérité de tes plaintes, moi qui éprouvai aussi la méchanceté des Atrides et la violence d’Ulysse.

PHILOCTÈTE.

Aurais-tu donc aussi quelque grief et quelque juste ressentiment contre ces infâmes Atrides ?

NÉOPTOLÈME.

Puissé-je assouvir un jour ma vengeance[2] ! puissé-je apprendre à Mycènes et à Sparte[3] que Scyros produit aussi des hommes vaillants !

PHILOCTÈTE.

Bien, mon fils ; mais quelle offense a excité contre eux le ressentiment si terrible que tu apportes ici ?

  1. La Harpe traduit ainsi la fin du discours de Philoctète :
    Ils m’ont fait tous ces maux ; que les dieux les leur rendent !
    Du Philoctète d’Attius, Nonius, v. contempla, a conservé un fragment, qui se rapporte à ce morceau :
    Contempla hanc sedem in qua ego novem
    Biemes saxo stratus pertuli.
  2. Tous les manuscrits donnent :
    Θυμῶ γένοιτο χεῖρα πληρῶσαι ποτε.
    « Puisse ma colère assouvir un jour mon bras ! » Hyperbate hardie, pour : « Puisse mon bras assouvir ma colère ! » Aussi Quintilien dit-il : Novator, si quis alius, in verbis Sophocles.
  3. Agamemnon régnait à Mycènes, et Ménélas à Sparte.