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L’ENVOYÉ.

Cette retraite subite m’étonne aussi ; j’espère toutefois que, désespérée de la mort de son fils, et ne voulant pas donner aux citoyens le spectacle de sa douleur, elle est rentrée dans le palais, pour y déplorer avec ses femmes le massacre de sa famille. Car elle n’est pas assez dépourvue de sens pour faire une chose indigne d’elle.

LE CHŒUR.

Je ne sais ; pour moi, du moins, et le morne silence, et les grands cris du désespoir me paraissent annoncer quelque chose de sinistre.

L’ENVOYÉ.

Eh bien ! nous saurons, en entrant dans le palais, si, au fond de son cœur ulcéré, elle ne cache pas une douleur qu’elle comprime ; car, tu dis vrai, ce morne silence annonce quelque chose de sinistre.

LE CHŒUR.

Mais voici le roi lui-même qui s’avance, portant dans ses bras le gage de son deuil[1], expiant, si j’ose le dire, sa propre faute et non celle d’un autre.


CRÉON.

(Strophe 1.) O cruel et mortel égarement d’un cœur dénaturé ! voyez[2] le meurtrier et la victime, qu’unissaient les liens du sang ! Hélas ! funestes effets de ma vengeance ! O mon fils ! mon fils ! mon fils ! enlevé si jeune par une mort prématurée ! hélas ! tu meurs, tu péris par mes fautes et non par les tiennes.

LE CHŒUR.

Hélas ! c’est bien tard que tu reconnais la justice des dieux.

CRÉON.

(Strophe 2.) Hélas ! je le reconnais que trop ; alors,

  1. Il paraît qu’on apportait le corps d’Hémon sur la scène. — Le scholiaste explique le mot μνῆμα, par τον νεκρόν, le mort.
  2. Il s’adresse au Chœur.