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Pour obéir aux ordres de notre maître désespéré, nous regardons, et au fond de la tombe, nous voyons Antigone suspendue par le cou, attachée à un lacet formé avec sa ceinture de lin ; et près d’elle, Hémon étendu, la serrant dans ses bras, pleurant la mort de l’épouse que l’enfer lui a ravie, la cruauté de son père et son funèbre hyménée. Créon, dès qu’il le voit, gémit amèrement, pénètre jusqu’à lui, et s’écrie avec des sanglots : « O malheureux, quel acte as-tu accompli ? quelle était ta pensée ? de quel coup fatal t’es-tu frappé ? sors, mon fils, je t’en supplie ! » Mais le fils, lui jetant un regard farouche, dédaigne ses prières[1], et, sans répondre, tire une épée à double tranchant ; son père fuit et échappe au coup ; alors, tournant son courroux contre lui-même, le malheureux Hémon se jette au même instant sur la pointe de son épée, il s’en perce le sein, et respirant encore, il s’enlace entre les bras défaillants de la jeune fille, et exhale sur son pâle visage le dernier soupir avec des flots de sang[2]. Les deux corps gisent mutuellement embrassés, et leur hymen s’accomplit dans le triste séjour de Pluton ; exemple qui montre aux hommes combien l’imprudence entraine de désastres[3].


LE CHŒUR.

Que présumer de ceci ? Eurydice s’est retirée, sans prononcer une seule parole favorable ou funeste[4].

  1. Πτύσας προσώπῳ, « lui crache au visage. » Le scholiaste dit que ces mots ne doivent pas se prendre au propre. Cependant Musgrave, Bothe et Welcker, critiques auxquels on ne refusera pas le sentiment de l’antiquité, entendent ce mot dans le sens réel, et non figuré. Déjà, au vers 653, Créon employait ce mot en parlant d’Antigone à son fils.
  2. Properce (II, 8, 21) :
    Quid ? Non Antigonæ tumulo Bœotius Hæmon
    Corruit ipse suo saucius ense latus ?
    Et sua cum misere commiscuit ossa puellæ,
    Qua sine Thebanam noluit ire domum ?
  3. Eurydice se retire.
  4. Dans Œdipe Roi, v. 103-5, à la sortie de Jocaste, le Chœur exprime lei mêmes craintes, à peu près dans les mêmes termes.