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roc, elle recevra, comme expiation seulement, tout juste autant de nourriture qu’il en faut pour écarter de la ville toute souillure[1]. Et là, elle pourra peut-être, en invoquant Pluton, le seul dieu qu’elle révère, obtenir de lui qu’il la dérobe à la mort ; ou alors elle sentira, un peu tard peut-être, combien il est superflu d’honorer les dieux infernaux.

(Créon quitte la scène.)


LE CHOEUR.

(Strophe 1.) Amour ! invincible amour ! qui subjugues les puissants de la terre, et reposes sur les joues délicates de la jeune fille[2] ; qui traverses les mers et visites la cabane des bergers, nul parmi les dieux immortels, ni parmi les hommes éphémères, n’échappe à tes traits ; celui que tu possèdes est en proie au délire.

(Antistrophe 1.) Tu pervertis même les cœurs des justes, pour les entraîner à leur perte ; c’est toi qui entre le père et le fils as semé le trouble et la discorde. Puisé dans les regards d’une épouse charmante, le désir triomphe hautement, et prend place parmi les lois suprêmes qui gouvernent le monde[3]. En effet, l’invincible déesse Vénus se joue de nous.

Et maintenant, moi-même, à ce spectacle, je viole le respect dû aux lois, et je ne puis plus retenir la source de mes larmes, quand je vois Antigone s’avancer vers la couche où tous trouvent l’éternel sommeil !

  1. Dans les temps anciens, quand on faisait mourir de faim un condamné, on croyait se préserver de souillure, en lui laissant de quoi subsister pendant un jour. Les Romains observaient les mêmes précautions pour le supplice des Vestales.
  2. Horace, 1. IV, od. XIII :
    Ille virentis
    Et doctæ psallere Chiæ
    Pulchris excubat in genis.
  3. J’adopte, avec M. Berger, la leçon de tous les manuscrits, τῶν μεγάλων πάρεδρος ἐν ἀρχαῖς θεσμῶν, et je rejette la conjecture de Dindorf, admise par Wunder, qui donne τῶν μεγάλων, et retranche ἐν ἀρχαῖς.