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fléau des airs, enveloppe la plaine et ravage tous les feuillages des arbres et des plantes ; le vaste éther était rempli de leurs débris, et nous, les yeux fermés, nous supportions le fléau envoyé par les dieux[1]. Lorsque enfin l’ouragan fut dissipé, on voit la jeune fille, poussant des cris aigus, comme un oiseau désolé qui retrouve son nid désert et vide de ses petits ; ainsi, à la vue du cadavre nu, elle aussi laisse éclater ses sanglots, et lance de terribles imprécations contre les auteurs de l’attentat. Aussitôt ses mains le recouvrent de poussière, et, avec un vase d’airain artistement travaille, elle fait de triples libations[2] sur le mort. À cette vue, nous courons à l’instant et la saisissons, sans qu’elle montre aucun trouble. Nous l’interrogeons sur ce qui a précédé, et sur ce que nous avons vu ; elle ne nia rien, et moi, je ressentis tout ensemble de la peine et de la joie ; car il est bien doux d’échapper au châtiment, mais il est pénible d’y livrer ce qui nous est cher. Cependant il est naturel qu’à toutes ces raisons je préfère mon propre salut.

CRÉON.

Toi, oui, toi qui tiens les yeux baissés vers la terre, avoues-tu, ou nies-tu avoir fait ce dont il t’accuse ?

ANTIGONE.

Oui, j’avoue l’avoir fait, et ne prétends pas le nier.

CRÉON, au garde.

Toi, tu peux te retirer à ta volonté, tu es libre de l’accusation qui pesait sur toi. — Pour toi, réponds brièvement et en peu de mots ; connaissais-tu la défense que j’ai fait proclamer ?

ANTIGONE.

Je la connaissais ; pouvais-je ne pas la connaître ? elle était assez publique.

  1. Ce passage est la description fidèle d’une trombe.
  2. Triples libations, soit parce qu’on les répandait par trois fois, comme dans l’Œdipe à Colone (v. 470), soit parce qu’elles étaient composées de lait, de vin et de miel ou d’huile. V. Iphigénie en Tauride, v. 1199. Αρδην, elle verse de haut.