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Bouleversé tout à l’heure par tes menaces, j’aurais affirmé que je ne me presserais pas de revenir ici. Mais, comme une joie inespérée est sans proportion avec toute autre joie, me voici, malgré mes serments de ne plus revenir, et j’amène cette jeune fille, que l’on a trouvée à préparer la sépulture. Dans cette occasion, l’on a pas tiré au sort ; c’est à moi qu’appartient la trouvaille[1], et nul autre n’y a droit. Et maintenant, ô roi, reçois toi-même cette jeune fille de mes mains ; interroge-la à ton gré, pour la convaincre. Mais moi, il est juste que je me retire, libre désormais de tout embarras.

CRÉON.

Toi qui l’amène, où et comment l’as-tu surprise ?

LE GARDE.

Elle ensevelissait le cadavre ; te voilà instruit de tout.

CRÉON.

Comprends-tu et dis-tu bien ce que tu veux dire ?

LE GARDE.

Oui, je l’ai vue inhumer le cadavre que tu avais défendu d’ensevelir : ce langage est-il clair et intelligible ?

CRÉON.

Comment a-t-elle été vue et prise en faute ?

LE GARDE.

Voici comment la chose s’est passée. À peine arrivés, préoccupés de tes terribles menaces, nous avons balayé toute la poussière qui couvrait le cadavre déjà putréfié, et nous l’avons mis complètement à nu ; puis nous nous assîmes, abrités du vent par des collines élevées, pour éviter d’être atteints par son odeur fétide ; chacun de nous excitant par de vifs reproches l’attention de celui dont la surveillance se relâchait. Cela dura jusqu’au moment où le disque brillant du soleil s’arrêta au milieu du ciel, et fit sentir toute son ardeur. Et alors tout à coup un tourbillon, soulevant de la terre un ouragan,

  1. Ce mot, bien familier pour le ton tragique, est la traduction exacte de θοὔρμαιον, mot à mot, gain envoyé par Mercure.