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regret que je parais devant vous, à qui ma présence déplaît, je le sais ; car personne n’aime à être porteur de mauvaises nouvelles[1].

LE CHOEUR.

O roi, ce fait ne serait-il pas l’ouvrage des dieux ? Voilà ce que mon esprit se demande depuis longtemps.

CRÉON.

Cesse de pareils propos, si tu ne veux mettre le comble à ma colère, et te montrer aussi insensé que tu es vieux ; car tu dis une chose insoutenable, en prétendant que les dieux prennent soin de ce cadavre. Honorent-ils donc comme un bienfaiteur, et eussent-ils enseveli celui qui venait embraser leurs temples entourés de colonnes et leurs offrandes, détruire leur pays et leur culte ? Ou bien vois-tu les dieux protéger les méchants ? Non certes. Mais depuis longtemps des habitants de la ville, mécontents de mes ordres, murmuraient contre moi, secouant la tête en cachette, et ils portaient mon joug de trop mauvaise grâce pour chercher à me complaire. C’est par eux, je le sais parfaitement, que les gardes ont été séduits, à prix d’argent, pour commettre cette infraction aux lois. En effet, il n’est pas pour les mortels d’usage plus funeste que l’usage de l’argent ; c’est lui qui ruine les cités, qui chasse les maris de leurs maisons ; c’est lui qui pervertit les cœurs honnêtes, et leur enseigne le goût des choses honteuses ; il a introduit dans les actions des hommes la fraude et le mépris des lois divines ; il leur enseigne la ruse et l’impiété. Mais ceux que l’appât du gain a entraînés à cette mauvaise action y ont gagné d’en recevoir le châtiment, qui un jour les atteindra. Si donc Jupiter est encore l’objet de ma vénération, sache-le bien, et je te le dis avec serment, si vous ne découvrez l’auteur de cette sépulture interdite, et si vous ne l’amenez devant mes yeux, la mort seule ne suffira pas pour votre châtiment,

  1. On a pu remarquer que ce garde est un personnage qui tourne un peu au comique. Créon lui-même, avec son égoïsme irritable, n’est pas sans quelques traits vulgaires.