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ŒDIPE.

Ces tonnerres redoublés, ces foudres lancés d’une main invincible.

THÉSÉE.

Je dois t’en croire ; car jusqu’ici j’ai vu beaucoup de tes prédictions s’accomplir. Dis donc ce que tu veux de moi.

ŒDIPE.

Je t’apprendrai, fils d’Égée, des secrets importants pour cette ville, et que le temps ne doit jamais altérer. Je vais à l’instant te conduire, moi-même et sans guide, au lieu où je dois mourir. Ne révèle jamais à aucun mortel ni la place de mon tombeau, ni les lieux qui le renfermeront, si tu veux qu’il soit toujours contre tes ennemis un rempart plus redoutable que les lances de milliers de combattants. Ce secret, que les paroles ne doivent pas révéler, tu le connaîtras lorsque tu seras venu seul au lieu marqué ; je ne le dirai à aucun de ces citoyens, ni même à mes filles, malgré ma tendresse pour elles[1]. Pour toi, conserve-le toujours, et lorsque tu

  1. Cet endroit de Sophocle peut servir à expliquer une phrase obscure du discours de Dinarque contre Démosthène. Dinarque reproche à Démosthène d’avoir osé suspecter la bonne foi d’un tribunal révéré, qui a la garde du testament secret auquel est attaché le salut de la république : ὂ φυλάσσεὶ τὰς ὰποῥῤήτους διαθήκας, ἒν αἶς τὰ τῆς πόλεως σωτήρια κεῖται.

    Coray, dans une lettre adressée à Chardon de la Rochette (Magasin Encyclop., deuxième année, t. IV, p. 213), pense que ce testament est le secret qu’Œdipe mourant n’a voulu confier qu’à Thésée. Le mot testament ne se trouve pas dans les vers de Sophocle ; mais Œdipe n’en lègue pas moins son corps à Athènes, comme une sauvegarde ; à la condition que Thésée et ses successeurs garderont le secret de sa sépulture, pour empêcher les Thébains, ses ennemis irréconciliables, d’enlever son corps. On peut supposer que ce secret aura été confié à l’Aréopage par Thésée ou par un de ses successeurs. Sophocle se sera emparé de cette tradition populaire, en la rattachant à l’opinion générale que l’Aréopage était dépositaire d’un secret important, d’où dépendait le salut de l’État.


    Ce passage de l’Œdipe à Colone et quelques autres, tels que les seize vers de l’Antigone, cités par Démosthène, dans son discours sur les prévarications de l’ambassade, peuvent faire comprendre le caractère politique de la tragédie grecque. De même, Démosthène, dans son discours sur la couronne, cite l’asile donné autrefois par les Athéniens à Œdipe et aux Héraclides expulsés par les Pélopponnésiens, comme l’indice d’une antique alliance avec Thèbes.