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est de rentrer au plus tôt dans le néant[1]. Car à peine la jeunesse a-t-elle amené ses folles erreurs, quelles peines, quelles traverses ne fondent pas sur elle ! les meurtres, les séditions, la discorde, les combats, l’envie ; et à la fin arrive la vieillesse chagrine, impuissante, insociable, importune, rendez-vous de toutes les misères humaines.

(Épode.) Ce triste sort est celui d’Œdipe, et je ne l’ai pas seul en partage ; comme un rivage de toutes parts battu par Borée, par les vagues et par la tempête, tel Œdipe est assailli par des tempêtes d’infortune, qui fondent sur lui avec une fureur toujours nouvelle, de l’occident, de l’orient, du midi et du septentrion, séjour de la nuit[2].

ANTIGONE.

Mon père, voici, je pense, l’étranger ; il s’avance seul vers nous, les yeux baignés de larmes.

ŒDIPE.

Quel est-il ?

ANTIGONE.

Celui même que nous avions dans la pensée, et qui est ici devant moi, Polynice.

POLYNICE.

Hélas ! que faire ? est-ce mon infortune que je dois pleurer d’abord, chères sœurs, ou celle de mon vieux père, que je vois ? Je le retrouve ici, jeté avec vous sur une terre étrangère, sous ces vêtements qui, vieillis sur son vieux corps, le souillent de leurs lambeaux hideux, et son front, privé de la vue, est à peine garni de cheveux épars, jouets des vents ; sans doute, les aliments de

  1. Voyez la même pensée dans Théognis (v. 425 et suivants), édition de Boissonade. Ausone a dit aussi :
    Non nasci esse bonum, aut natum cito morte potiri.
    Cicéron, Tusculanes, I, 48, a reproduit la même pensée : « Affertur etiam de Sileno fabella quædam ; qui quum a Mida captus esset, hoc ei muneris pro sua missione dedisse scribitur : docuisse regem non nasci homini longe optimum esse, proximum autem quam primum mori. »
  2. Le scholiaste explique le mot ῾Ριπᾶν, par les monts Riphées.