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aujourd’hui pour toi dans les dispositions les plus pacifiques, le temps qui, dans son cours infini, enfante une suite de jours et de nuits, amènera l’instant fatal où la discorde rompra cette étroite union, sur un léger prétexte ; alors mon corps glacé, endormi dans le sein de la terre qui le couvrira, s’abreuvera du sang tiède des Thébains, si Jupiter est toujours Jupiter, et si Apollon, son fils, est véridique. Mais, puisqu’on n’aime pas à révéler ce qu’on doit taire[1], souffre que je m’arrête à ce que j’ai commencé à te dire, garde seulement ta foi ; jamais tu ne diras qu’Œdipe a été un hôte[2] inutile à ce pays, si toutefois les dieux ne démentent point mes paroles.

LE CHŒUR.

O roi, il nous a déjà parlé le même langage, et annoncé l’accomplissement des mêmes promesses.

THÉSÉE.

Qui pourrait repousser la bienveillance d’un tel homme, qui d’abord partagea toujours avec nous le foyer de l’hospitalité, et qui, de plus, devenu le suppliant des Vénérables Déesses, s’acquittera par d’importants services envers ce pays et envers moi ? Dans le respect religieux qu’il m’inspire, loin de dédaigner jamais son amitié, je veux lui offrir un asile dans cette contrée. Soit donc que l’étranger désire rester en ces lieux, je le confie à votre garde ; ou s’il préfère venir avec moi, j’y consens, Œdipe, je te laisse le choix ; car je te défendrai de mon bras.

ŒDIPE.

O Jupiter, récompense dignement des hommes si généreux !

THÉSÉE.

Eh bien ! que désires-tu ? venir dans mon palais ?

  1. Τὰκένητα, « ce qui ne doit pas être remué par la parole, » expression qui se retrouvera plus loin, au vers 1526.
  2. Λορύξενος se disait de ceux qui avaient formé les liens de l’hospitalité et de l’amitié à la guerre, comme Glaucus et Diomède, dans l’Iliade, VI, v. 119 et suivants. Mais dans les tragiques, il s’emploie pour ξένος, hôte ; par exemple, dans la Médée d’Euripide, v. 683.