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compagne. Parle ; il faudrait que ta demande eût quelque chose d’extraordinaire, pour te refuser, moi qui sais que, dans mon enfance, je fus élevé comme toi sur une terre étrangère[1], et qu’errant hors de ma patrie, je courus les plus grands périls ; aussi jamais à aucun étranger, comme toi dans le malheur, je ne refuserai mes secours pour le sauver ; car je sais que je suis un homme, et que je ne puis, pas plus que toi, compter sur le jour qui doit suivre[2].

ŒDIPE.

Thésée, ta générosité a éclaté dans ces courtes paroles ; il me suffira donc de te dire quelques mots. Tu sais qui je suis, tu connais mon père et de quel pays je viens, tu l’as dit toi-même. Je n’ai pas besoin de t’en dire davantage, il ne me reste donc qu’à te faire savoir mes vœux, et j’aurai fini.

THÉSÉE.

Explique-toi, afin que je les sache.

ŒDIPE.

Je viens t’offrir mon triste corps ; il est peu agréable à voir, mais les avantages qu’il t’apportera sont plus grands que sa forme n’est belle.

THÉSÉE.

Et quels sont ces avantages que tu te flattes de nous apporter ?

ŒDIPE.

Tu le sauras avec le temps, le moment n’est pas encore venu.

THÉSÉE.

Quand donc se montreront les biens que tu nous promets ?

  1. Thésée, d’Athènes, avait été élevé à Trézène, chez son aïeul Pitthée ; comme Œdipe, de Thèbes, à Corinthe, chez Polybe.
  2. Ce passage rappelle les jolis vers que Maucroix, ami de La Fontaine, fit à soixante-douze ans :
    Chaque jour est un don que du ciel je reçois ;
    Je jouis aujourd’hui du soleil qu’il me donne ;
    Il n’appartient pas plus aux jeunes gens qu’à moi,
    Et celui de demain n’appartient à personne.