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française. En outre, il faut tenir compte de la différence des mœurs et des idées. Il ne faut pas perdre de vue que le théâtre était en Grèce une institution à la fois religieuse et politique, et non pas, comme chez nous, un simple divertissement, que chacun est libre de se donner ou non pour son argent. Les représentations du théâtre n’étaient point un passe-temps de chaque jour ; mais elles revenaient à de longs intervalles, aux fêtes solennelles, et faisaient partie de ces jeux publics, qui formaient pour ainsi dire à eux seuls le lien fédéral de la Grèce. Il y avait dans le trésor d’Athènes des fonds spécialement affectés aux représentations dramatiques, et les lois portaient la peine de mort contre quiconque proposerait de les détourner à un autre usage. Voyez à ce sujet les discours de Démosthène. Enfin, que l’on compare nos salles étroites, fermées, éclairées d’une lumière artificielle, avec ces vastes amphithéâtres, où la nation tout entière se trouvait réunie, où la pièce se jouait en plein air, et où les sites de la nature remplissaient sans doute leur rôle dans la décoration de la scène. De si profondes différences dans les caractères extérieurs de la représentation ne devaient-elles pas en produire d’aussi remarquables dans la constitution intime du drame ?

Sophocle remporta vingt fois le premier prix de la tragédie ; souvent il obtint la seconde nomination, jamais la troisième. Telle était la douceur de son caractère, dit son biographe, qu’il était chéri de tout le monde. Il était si attaché à son pays, que les offres de plusieurs rois, qui l’engageaient à venir auprès d’eux, ne purent jamais le décider à abandonner sa ville natale. Les Athéniens, pour donner à l’auteur d’Antigone un témoignage de leur admiration, l’élurent général à cinquante-sept ans, sept années avant la guerre du Péloponnèse,