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dans ce palais[1] ; mais voici d’autres désastres volontaires qui vont paraître au grand jour[2]. Ah ! de tous les maux, les plus cuisants sont ceux qu’on s’est infligés soi-même.

LE CHŒUR.

Rien ne manque à l’horreur de ceux que nous connaissons déjà ; que peux-tu y ajouter encore ?

LE SECOND MESSAGER.

Un mot me suffira pour le dire, et à vous pour l’apprendre. Jocaste est morte.

LE CHŒUR.

O l’infortunée ! Quelle a été la cause de sa mort ?

LE SECOND MESSAGER.

Elle-même s’est tuée de ses propres mains. Ce que cette mort a de douloureux vous échappe, car ce spectacle n’est pas sous vos yeux ; cependant, autant que j’en conserve le souvenir, je vous dirai les souffrances de cette infortunée. Agitée d’une sombre fureur, dès qu’elle eut franchi le seuil du palais, elle courut droit à la couche nuptiale, arrachant sa chevelure de ses deux mains ; une fois entrée, elle ferme violemment les portes en dedans, évoque l’ombre de Laïus, lui rappelant le souvenir de ce fils oublié, de la main duquel il devait périr lui-même, en laissant une mère qui donnerait le jour à des enfants incestueux. Elle arrose de ses larmes cette couche où, doublement malheureuse, elle eut un époux de son époux, et des enfants de son enfant. Je ne vis pas ensuite comment elle a péri ; car Œdipe se précipita à grands cris, ce qui nous empêcha de voir la mort de Jocaste ; mais nos regards se tournent vers lui, qui errait çà et là. Dans cet égarement, il nous demande une épée, et veut savoir où est l’épouse qui n’est pas son

  1. Eschyle, Choéphores, v. 68, dit aussi : « Et tous les fleuves laveraient, sans la purifier, la main souillée par le meurtre. » Shakspeare, Macbeth, acte V, se. 1 : « Tous les parfums de l’Arabie ne blanchiront jamais cette petite main. »
  2. Les maux cachés dans le palais sont la mort de Jocaste ; ceux qui vont paraître au grand jour sont le châtiment d’Œdipe qui s’est privé de la lumière.