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dictions, les absurdités du polythéisme, et préparèrent de loin la grande révolution religieuse qui devait renouveler le monde.

À part les autres genres de beautés, il y a encore dans ce drame un intérêt de curiosité ménagé avec beaucoup d’art : cet intérêt, habilement suspendu, va toujours croissant ; une première clarté, jetée sur le sombre mystère, en amène de nouvelles, et tous les faits se dévoilent successivement avec une progression terrible. D’abord, les paroles de Tirésias ont jeté le trouble dans l’âme d’Œdipe ; puis, dans le récit de Jocaste, la description des lieux où Laïus fut tué réveille ses souvenirs : cette lueur subite éclaire une partie des événements ; déjà il se reconnaît, selon toute apparence, pour le meurtrier de Laïus, et les imprécations terribles qu’il a lancées contre le coupable doivent retomber sur lui-même. Bientôt, le messager venu de Corinthe lui révèle que Polybe n’était pas son père, et qu’il a été recueilli sur un rocher désert, où il était abandonné. Quelle impression de terreur produit un seul mot, quand le messager prononce ces simples paroles : « Je t’avais trouvé sur les rochers déserts du Cithéron ! » Enfin, avec l’arrivée du berger, commence l’admirable scène où se dévoile l’accomplissement de l’oracle qui l’avait destiné à devenir parricide et incestueux ; chaque mot est un pas de plus vers la révélation complète de son sort, et à mesure qu’il pressent la catastrophe suspendue sur sa tête, il semble que sa curiosité redouble. Là le chef-d’œuvre du génie tragique se reconnaît encore, même à travers une traduction décolorée, d’où a disparu tout le charme de la poésie.

Cependant, si l’on en croit Dicéarque, cité par l’auteur de la préface grecque, ce chef-d’œuvre fut vaincu par Philoclès, poète médiocre, souvent bafoué par Aristophane. Il n’obtint que le second prix, du moins si l’on s’en rapporte à ce passage du biographe anonyme de Sophocle : « Il remporta vingt victoires, il eut souvent la seconde place, jamais la troisième. »

Quant à la date de l’Œdipe Roi, tous les indices qu’il est possible de recueillir se bornent à des données purement conjecturales, et qui ne s’accordent pas toutes ensemble. Ainsi, la description de la peste, si énergiquement tracée dans la première scène, pourrait donner à penser que les souvenirs du fléau qui ravagea Athènes, la seconde année de la guerre du Péloponnèse (troisième année de la quatre-vingt-septième olympiade, ou 430 avant notre ère), n’étaient pas étrangers à ce morceau ; ce qui autoriserait à mettre la représentation vers l’an 429. D’un autre côté, tout ce qui est dit dans le troisième chant du Chœur (v. 851-898) sur la tyrannie et sur la profanation des temples et des choses saintes doit, se-