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même à de plus sages pensées, sans y être contraint par la force ou par mes châtiments.

ÉLECTRE.

À présent, tout ce qui dépendait de moi est accompli ; le temps m’a appris à être sage, et à m'accorder avec les plus forts[1].

ÉGISTHE.

O Jupiter ! si je puis le dire sans offenser les dieux, je vois le plus heureux spectacle ; mais si Némésis s’y oppose[2], je rétracte ces paroles. Écartez tous les voiles qui le couvrent à nos yeux, pour que la parenté qui nous unissait obtienne aussi le tribut de mes larmes.

ORESTE.

Lève toi-même ce voile ; ce n’est pas à moi, mais à toi, qu’il appartient de contempler ce corps, et de lui adresser des paroles d’amitié.

ÉGISTHE.

Ton avis est raisonnable, et je le suivrai ; pour vous, appelez Clytemnestre, si elle est dans le palais.

ORESTE.

La voici près de toi, ne cherche plus ailleurs.

ÉGISTHE.

Malheur à moi ! Que vois-je ?

ORESTE.

Qui crains-tu ? ne reconnais-tu pas ?

ÉGISTHE.

Quels sont donc les hommes dans les filets desquels je suis tombé, malheureux ?

ORESTE.

Ne vois-tu pas que depuis longtemps, plein de vie, tu parles avec des morts ?

ÉGISTHE.

Hélas ! j’ai trop compris tes paroles ; car il n’est pas possible que celui qui me parle ne soit Oreste.

  1. Ce dernier mot est encore à double entente.
  2. C’est-à-dire, si les dieux s’en irritent. Némésis était la déesse qui exécutait les arrêts divins.