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cette expédition ? Pluton était-il donc plus avide[1] de mes enfants que des siens ? ou ce père dénaturé, indifférent pour les enfants issus de mon sein, n’avait-il d’amour que pour ceux de Ménélas ? N’est-ce pas là le fait d’un père insensé et cruel ? Je le pense, bien que tu sois d’un autre avis que moi ; ainsi parlerait celle qu’il a sacrifiée, si elle retrouvait la voix. Pour moi donc, je ne me repens pas de ce que j’ai fait ; mais si tu crois que j’ai tort, fais valoir de justes raisons, et accuse ta mère.

ÉLECTRE.

Tu ne diras pas cette fois que tu ne fais que répondre à mes amères provocations ; mais si tu me le permets, je te parlerai comme il convient, au sujet de mon père et en même temps de ma sœur.

CLYTEMNESTRE.

Eh bien ! je te le permets ; si toutes les fois que tu me parles tu commençais ainsi, tu ne m’aurais pas donné tant de déplaisirs.

ÉLECTRE.

Je te parlerai donc. Tu avoues avoir tué mon père. Que ç’ait été justement ou non, peut-on rien dire de plus horrible ? Mais je le dis, tu l’as fait contre toute justice, et entraînée par les conseils de ce traître, qui est aujourd’hui ton époux. Demande à Diane chasseresse pour quelle vengeance elle enchaîna dans Aulis les vents qui y soufflent d’ordinaire[2] ; ou plutôt je te le dirai, car il n’est pas permis de l’interroger elle-même. Mon père, m’a-t-on dit, errant un jour dans un bois consacré à Diane, fit partir un cerf remarquable par sa ramure, et, l’ayant percé, il laissa échapper quelques paroles superbes[3]. Dès lors, la fille de Latone irritée retint les

  1. Le texte dit : « de dévorer mes enfants....»
  2. L’Euripe est souvent bouleversé par les vents ; c’est ce que dit Tite-Live, liv. XXVIII, c. 6.
  3. Selon le scholiaste d’Euripide, sur Oreste, v. 647, Agamemnon avait dit : « Diane elle-même n’aurait pas mieux visé. » Ce récit offre quelques différences dans l’Agamemnon d’Eschyle, v. 104-159 ; dans Iphigénie en Tauride, d’Euripide, v. 14-24, et dans Callimaque, hymne à Diane, v. 263.