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CHRYSOTHÉMIS.

Mais je l’ignore, à part quelques mots que j’en puis dire.

ÉLECTRE.

Dis-les, du moins ; souvent quelques paroles suffisent pour abattre ou pour relever des mortels.

CHRYSOTHÉMIS.

On dit qu’on a vu ton père et le mien, animé d’une vie nouvelle, revenir à la lumière ; qu’ensuite, prenant le sceptre[1], que jadis il porta lui-même, et que porte aujourd’hui Égisthe, il l’a planté au milieu du palais, et qu’aussitôt il en sortit un rameau florissant, qui ombragea toute la terre de Mycènes. Ainsi l’ai-je appris d’un témoin qui a entendu Clytemnestre raconter son songe au Soleil[2]. Je ne sais rien de plus, si ce n’est que la frayeur l’a décidée à me donner ces ordres. Ainsi, au nom des dieux de notre famille[3], je te conjure de me croire, et de ne pas te perdre par ton imprudence ; car si tu me repousses à présent, plus tard, avec le malheur, tu me rappelleras.

ÉLECTRE.

Garde-toi, chère sœur, de déposer sur le tombeau rien de ce que tu portes dans tes mains ; car tu ne saurais, sans crime, ni sans profanation, présenter à mon père les offrandes et répandre les libations d’une épouse odieuse ; jette-les plutôt au vent ou enfouis-les profondément dans la terre, d’où jamais aucun de ces dons ne puisse appro-

  1. ἐφέστιον. Ce sceptre était celui dont il est parlé dans l’Iliade, ch. II, v. 100. Ouvrage de Vulcain, il avait été porté par Jupiter et par Mercure, avant d’être donné à Pélops.
  2. Coutume antique. On croyait par là écarter les malheurs dont on était menacé. V. Euripide, Iphigénie en Tauride, v. 12. Valérius Flaccus, Argonautic. V, v. 320-1 :
    Senserat ut pulsas tandem Medea tenebras,
    Rapta toris, primi jubar ad placabile Phœbi
    Ibat.
  3. Ce sont les mêmes qu’Électre, un peu plus haut (v. 411), appelait « Dieux de mes pères. » Voir aussi Antigone, v. 199.