Page:Sophocle (tradcution Masqueray), Tome 2.djvu/192

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le sommeil s’empare de moi dès que ce mal me quitte ; il ne peut cesser avant, et il faut me laisser dormir tranquille[1]. Si pendant ce temps-là surviennent nos ennemis, au nom des dieux, je te recommande de ne leur livrer ces armes ni de gré, ni de force, ni de quelque façon que ce soit, de peur que tu ne causes ta perte, en même temps que la mienne, puisque je suis ton suppliant.

Néoptolème. — Compte sur ma vigilance : il n’y aura que toi et moi qui les aurons. Donne-les et que ce soit pour notre bonheur.

Philoctète. — Tiens, les voilà, mon enfant. Supplie l’Envie qu’elles ne te soient pas une cause de souffrance, comme elles l’ont été pour moi et pour celui qui les a possédées avant moi.

Néoptolème. — Dieux ! Qu’il en soit ainsi pour nous deux ! Qu’une traversée heureuse et facile nous conduise au lieu fixé par la divinité et au terme de notre expédition ! Philoctète. — Je crains, mon enfant, que ta prière ne soit vaine. De nouveau coule du fond de ma blessure un flot de sang noir et je m’attends encore à quelque chose. Ah ! pied maudit, que de douleurs tu vas me causer ! Il s’avance, le mal, il approche, le voilà tout près. Ah ! que je suis malheureux ! Vous voyez mon état : ne m’abandonnez pas. — (Cri convulsif.) — Étranger de Céphallénie, puisse cette souffrance s’attacher à ta poitrine et la transpercer ! — (Nouveaux cris[2].) — Doubles chefs de l’expédition,


    irrégularité, qui n’est pas identique à celle des Trach. 80, 5, est imputable aux modernes seuls : elle remonte à l’Aldine. Cf. Jebb, Appendix, p. 241.

  1. Ceci est un fait d’observation : après une crise vient l’assoupissement, et le sommeil du malade, qu’il faut se garder de troubler, est d’autant plus profond que l’accès a été plus violent. Sur le théâtre grec on connaissait bien ce genre de sommeil et le premier qui parait l’avoir mis en scène est Euripide dans son Héraclès. Cf. Trachiniennes, Notice, p. 14 sq.
  2. De toutes les exclamations, le plus souvent intraduisibles, de la tragédie grecque, celles-ci, sur la forme desquelles on n’est pas d’accord, sont les plus curieuses. On en trouve une semblable dans les Limiers, v. 60.