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NÉCROLOGIE


I. — M. Garsonnet.

Discours de M. Gréard.

C’est un deuil bien cruel que celui qui nous réunit ici. Il y a moins de huit jours, M. Garsonnet partait pour un court voyage, souriant au bonheur qui semblait s’ouvrir et rayonner devant lui. À l’heure où était attendu son retour, une dépêche nous annonçait qu’il avait succombé à un tragique accident, frappé à mort sur le coup, sans même que sa pensée eût pu se reprendre un instant et se reporter vers ses affections les plus chères, — celle qui la veille venait de renouveler son existence, celle qui, pendant tant d’années, l’avait si bien remplie.

Et nous aussi, Messieurs, cette catastrophe nous atteint dans nos plus intimes et plus anciens sentiments : depuis près de trente ans, M. Garsonnet appartenait à la Faculté de Paris. C’est parmi nous, sous nos yeux, qu’il s’était frayé sa carrière d’étape en étape, par ses mérites et par ses succès. Son père, ancien maître de conférences de littérature française à l’École normale supérieure, inspecteur général de l’instruction publique, aurait aimé à le voir suivre les voies où il s’était acquis une notoriété très distinguée. C’était un humaniste consommé, un lettré exquis, d’une mémoire inépuisable, d’un goût délicat et sûr, plein de belle humeur et de verve, familier de Sainte-Beuve qui l’attendait le soir, après dîner, à son heure de relâche, et qui aimait à l’entendre raconter la nouvelle du jour ou enlever l’anecdote d’autrefois avec l’aisance brillante et fine des causeurs du xviiie siècle. Un jour que nous avions inspecté ensemble l’École normale : c’est là, me dit-il, qu’il m’eût été bien doux de trouver mon fils ; mais décidément ce sera un homme sérieux.

Sérieux était en effet, dès ce moment, le jeune étudiant en droit, par ses goûts laborieux comme par l’objet de ses travaux. Mes thèses de doctorat remarquées, une active participation à la conférence des avocats dont il fut secrétaire sous le bâtonnat de Desmarets, avaient mis en lumière l’étendue de son savoir, la pénétration de son intelligence, la sûreté de son jugement, sa maturité précoce. Ces qualités se reconnaissent avec éclat au concours d’agrégation, où il se classa dans les premiers rangs. À l’issue d’une de ses épreuves, j’ai entendu le Président, un juge d’une finesse et d’une portée d’esprit supérieures, caractériser son talent en ces termes : Garsonnet sera maître commentateur, il a le goût des textes ; il en saisit l’esprit ; il en aime la lettre, il la caresse.

Un des grands bonheurs de sa carrière fut de trouver presque tout de suite un enseignement accommodé à ses aptitudes et où il put, en les développent, entreprendre une œuvre durable. Entre tous les domaines du droit auxquels il lui a été donné de toucher, la procédure civile est proprement celui qu’il a fait sien. De la procédure on pourrait dire ce que Quintilien disait de la Gram-