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L’ŒUVRE DE BERGAIGNE

« Mais dira-t-on (à propos de la prédominance accordée au point de vue liturgique) toujours et partout Agni ! Toujours et partout Soma ! Et l’offrande ! Etla prière ! Cette uniformité des mythes est-elle vraisemblable ? N’est-ce pas là un système dans le pire sens du mot ?

« Je répondrai que sous cette apparente simplicité il y a au contraire une assez grande complication. Je rappellerai que quand je dis Agni, Soma, l’offrande, la prière, j’ajoute dans la plupart des cas, et qu’on peut sous-entendre dans les autres « sous l’une quelconque de ses formes. » Or, Agni, par exemple, n’est pas seulement le feu terrestre, c’est aussi très souvent l’éclair et quelquefois le soleil, »

IV

La restriction qui sert ici d’excuse à Bergaigne ferait au contraire l’objet des seules critiques que je lui adresserais. À mon avis, il a trop craint d’abonder dans son sens, il a reculé devant les conséquences entières de sa méthode et il s’en est tenu provisoirement à un compromis qui entrave singulièrement l’essor de ses idées, et qui imprime aux exposés et aux démonstrations de la Religion védique un caractère fréquent d’obscurité et d’incertitude qui en trahit l’insuffisance. Agni et les autres éléments du sacrifice ont-ils réellement d’autres formes que la forme liturgique si bien mise en relief par le maître ? Je m’offre à démontrer le contraire en lui empruntant ses moyens de démonstration, et même je me fais fort d’établir qu’on n’en saurait tirer autre chose que la preuve d’un Agni unique et d’un unique Soma.

Bergaigne lui-même ne la-t-il pas prévu ? Je pencherais pour l’affirmative tout en admettant qu’il se sentait en même temps retenu par l’autorité d’une tradition dont il ne secouait le joug qu’à demi. Malgré son courage scientifique, les partis extrêmes n’étaient pas son fait, du premier coup du moins ; sauf pour lui à se ranger à plus ou moins bref délai aux exigences des faits évidents et des nécessités logiques.

J’ai donc la ferme conviction que. s’il avait vécu, Bergaigne aurait donné à son œuvre le couronnement qu’elle attendait en rapportant tout le Ris-Véda à la liturgie et au sacrifice, J’en ai pour gage, non seulement les nécessités logiques dont il vient d’être question, mais encore et surtout des constatations telles que celle-ci que j’emprunte à la Préface de la Religion védique :

« Les hymnes vèdiques composés pour la plupart en vue des cérémonies du culte ne renferment guère, outre la description de ces cérémonies, et avec les louanges adressées aux dieux, que l’expression des vœux de leurs adorateurs… »

Ne nous promettait-il pas d’ailleurs, avant de traduire le Rig-Véda, une.étude qui, bon gré mal gré, aurait eu raison de ses dernières hésitations et dont il prévoyait en ces termes les conséquences rui-