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de la langue chinoise parlée[1], il mit un traité détaillé de grammaire, complétant ainsi ce que des notes dispersées ont habituellement d’insuffisant. Il est vrai que le but de ces sinologues était de former des interprètes et que, pour l’interprète, la connaissance de la langue est surtout une affaire de mémoire ; le mot, la tournure de phrase doivent être reconnus sans hésitation par son oreille, doivent se présenter d’eux-mêmes à sa langue, seule la pratique lui peut tenir lieu de cet instinct qu’on a naturellement pour la langue maternelle. Vraies pour l’usage oral de n’importe quelle langue, ces remarques le sont encore plus pour la langue chinoise ; les tournures du langage parlé sont fixées par la coutume, l’emploi d’un tour nouveau rend la phrase non pas bizarre, mais presque incompréhensible, il n’est pas permis d’inventer et l’on doit se borner à répéter ce qui se dit couramment ; la traduction d’une phrase française ne consiste nullement à mettre des mots chinois sous les mots français et ensuite à les disposer laborieusement dans un ordre donné, mais à repenser la phrase française à la chinoise, à trouver, parmi les tournures chinoises, celle qui, bien que différente à l’analyse de la tournure française, a cependant une valeur générale comparable. On a pu parler grec et latin en français, mais l’on ne saurait parler français en chinois. Un autre écueil, non moins dangereux, c’est de parler comme un livre : s’il s’agit de la plupart des langues européennes, il peut y avoir là un ridicule, mais le langage demeure intelligible ; en chinois, la langue écrite diffère de la langue parlée comme le latin du français ou de l’espagnol, et employée oralement, elle n’est pas comprise ; la lecture, à la différence de ce qui se passe ailleurs, n’est d’aucun secours pour apprendre à parler. Ainsi pour former un interprète, il faut s’adresser à sa mémoire et lui faire apprendre par cœur des phrases toutes faites, des dialogues : l’emploi des manuels de conversation est indispensable.

Mais ce que l’on peut reprocher à ces manuels, c’est qu’habituellement ils manquent de méthode ; la grammaire y paraît occasionnellement et sans suite ; si l’on établit quelques rapprochements entre des faits analogues, on ne s’élève pas aux lois générales de la langue. Ce vice tient sans doute à la nature même d’un recueil de textes et de mots, où il est difficile de faire entrer dans un ordre logique des exemples de tous les faits grammaticaux ; mais il serait écarté, si l’on adjoignait au recueil un exposé dogmatique des règles avec des numéros de renvoi : c’est ce qui a été fait trop rarement. De la sorte l’étudiant n’a que des notions dispersées ; s’il se

  1. Publié en 1892 (Bibl. sin., 1833).