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REVUE INTERNATIONALE DE L’ENSEIGNEMENT

moutons ; car de même que votre programme, fût-il excellent, demeurera un poids inerte si vous ne concevez pas une méthode pour le soulever, votre méthode même irréprochable demeurera à son tour un programme inerte si cette méthode n’est pas la chose du personnel qui devra la mettre en œuvre, si elle lui vient du dehors, s’il ne l’a pas faite et ne la recrée pas constamment du dedans de lui-même.

C’est pour cela que je ne me garde pas d’un certain scepticisme quand j’entends que nous allons être dotés d’un seul coup d’un programme tout neuf qui va faire la merveille de susciter toutes les énergies nationales et nous changer en un peuple d’individus pleins de grands appétits et d’incoercibles initiatives, car si ce programme est bon — et pourquoi ne le serait-il pas ? — je me demande par quelle méthode on compte en extraire une telle vertu et si on trouve théoriquement la méthode en même temps que le programme, ce qui, sans doute, n’est pas impossible, je me demande comment on va pratiquement la faire passer à l’acte.

Si, en effet, le professeur, qui enseignait antérieurement les noms des fleuves de la Grèce, fait désormais réciter l’hydrographie du Fouta-Djallon sous peine de retenue, il n’est pas certain que l’entrain du peuple français en sera surexcité.

Et si, par une loi, on exige d’une immense multitude de professeurs à la fois qu’ils changent du tout au tout leur programme et même leur méthode, à supposer qu’on réalisât par des mesures administratives les moyens d’inaugurer des méthodes toutes nouvelles, ce qui me paraît impraticable pour beaucoup de raisons provisoirement invincibles, à supposer que les professeurs appelés à cette nouvelle tâche voulussent de tout leur cœur l’accomplir, étant hommes et n’ayant pas la science infuse, ils ne sauraient pas.

Mais je crains d’être un fidèle interprète de la pensée de beaucoup d’entre eux en supposant qu’au moment où ils accepteraient leur nouvel état avec la déférence qu’ils ne refusent ni aux lois, ni aux injonctions légitimes, ils tiendraient à peu près ce monologue intérieur : « Que nous veut-on encore ? N’a-t-on pas déjà assez et trop changé nos programmes ? N’est-ce pas une pitié que de voir s’anéantir entre nos mains le dépôt de ces lettres antiques qui ont formé le génie de la nation et l’ont maintenue au premier rang de l’Europe pour l’éclat de la pensée et la beauté de la langue, et quand nous avons passé notre vie à nous pénétrer de la poésie de Virgile et de Racine, est-ce bien notre affaire de préparer peut-être des fonctionnaires pour des nègres, ou en mettant les choses au mieux, des commerçants avides de s’enrichir dans l’exploitation de l’opium ou du caoutchouc ? »