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décisive. Ce qui ressort avant tout des recherches du savant éditeur, c’est le double courant et, pour mieux dire, la double composition du poème. Du premier au 2768e vers, c’est Guillem de Tudèle qui tient la plume, Guillem de Tudèle, jongleur et troubadour de profession, mais en même temps homme d’église, puisqu’il fut gratifié par le comte Baudouin, de la maison des comtes de Toulouse, d’un canonicat à Saint-Antonin, près de Montauban. Cette première partie du poème n’a pas une grande valeur littéraire : l’écrivain est froid, timide, sans véritable inspiration. Il n’a pas vu de près les scènes terribles qu’il raconte, sa muse n’atteint qu’une honnête médiocrité. La seconde partie de la chanson, au contraire, étincelle de verve, de couleur et d’éloquence. C’est un vrai poète qui chante, un témoin attristé des folies et des crimes de son époque, et qui emprunte à ses propres sentiments des notes d’une sombre énergie. Il est fâcheux que toutes les recherches n’aient pu fournir encore le moindre indice sur la personnalité de ce grand artiste inconnu.

La poésie de Guillem de Tudèle est de peu de prix, mais les renseignements historiques, qu’il donne sur la croisade, ont une sérieuse importance. En ce qui nous concerne, nous autres gens de Velay, nous trouvons dans les XIIIe et XIVe laisses, c’est-à-dire du 279e au 342e vers, de précieuses indications sur le rôle de nôtre province dans la plus sanglante de nos guerres religieuses. Si l’on ajoute au récit de Guillem de Tudèle quelques passages de l’Histoire anonyme de la guerre des Albigeois, histoire qu’on appelle vulgairement la Relation en prose et dont une nouvelle édition a été donnée en 1863 par un indigène (le marquis de Loubens), on arrive à préciser d’une manière à peu près exacte comment se comporta notre Velay au début de l’immense conflit du Nord et du Midi de la France.

Notre ami et confrère, M. Jacotin, a le premier mis à profit, dans l’intérêt de notre histoire locale, la Chanson de la Croisade et la Relation en prose[1]. Il a comparé ces deux sources origi-

  1. Mémoires de notre Société pour l’année 1878, pp. 219 et suiv.