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contes et légendes de la haute-loire

le gouffre de l’enfer

Au nord et à 1,500 mètres environ de la ville de Saugues, sous le moulin Rodier et dans les prairies qui bordent la rive droite de la Seuge, existe, creusé par la nature, une espèce de puits dont la profondeur, au dire des habitants du pays, est inconnue et que la tradition locale affirme être en communication avec l’enfer. Aussi est-il désigné sous le nom de Gour d’enfer. En réalité, cet abîme, de forme ovale, mesure 25 mètres de longueur, 20 mètres de largeur, et autant de profondeur. Ses eaux, constamment au même niveau, hiver comme été, sont froides, limpides et d’une singulière transparence. Elles sont peuplées de petits poissons et surtout de grenouilles. Un habile plongeur descendit dans le gouffre, il y a quelques années, et constata que la masse aqueuse reposait sur le granit. Des joncs et d’autres plantes aquatiques garnissent le pourtour de ce lac en miniature. Un champ au sol maigre et pierreux le domine à l’est et s’avance en forme de promontoire sur ses bords.

Par un beau soir d’automne, un robuste paysan excitait de l’aiguillon deux grands bœufs noirs attelés à une charrue dont le soc déchirait avec peine l’épiderme de ce champ rocailleux. Il entonnait un de ces airs rustiques aux notes graves et lentes, mélopée plaintive des classes courbées sur le sillon. Arrivé à l’extrémité abrupte du plateau, l’attelage, comme saisi d’une frayeur soudaine et mystérieuse, s’emporte et roule au fond du gouffre, entraînant avec lui l’araire et le laboureur dont la main n’avait pu se détacher du manche de la charrue. Les tentatives faites pour retirer les victimes furent vaines, et ces tristes dépouilles sont depuis demeurées dans le funèbre abîme. Mais quand le soleil brille d’un vif éclat et qu’aucun souffle ne ride la surface de l’eau, l’œil peut apercevoir, dit-on, au travers du flot limpide, un objet poli qui semble refléter la lumière, c’est l’araire ; on distingue aussi deux masses noires et une face blanche, l’homme et les bœufs.