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terme, il est alors tout à fait indépendant, et il ne faut pas que son propriétaire s’avise d’en attendre le plus léger service au-delà de ceux qui sont expressément stipulés par le bail, ou auxquels le fermier sait bien être obligé par la loi du pays.

Les tenanciers étant ainsi devenus indépendants, et les clients congédiés, les grands propriétaires ne furent plus en état d’interrompre le cours ordinaire de la justice, ni de troubler la tranquillité publique dans le pays. Après avoir ainsi vendu le droit de leur naissance, non pas comme le fit Ésaü, dans un moment de faim et de nécessité, pour un plat de lentilles, mais dans le délire de l’abondance, pour des colifichets et des niaiseries plus propres à amuser des enfants qu’à occuper sérieusement des hommes, ils devinrent aussi peu importants que l’est un bon bourgeois ou un bon artisan d’une ville. Il s’établit dans la campagne une forme d’administration aussi bien réglée que dans la ville, personne n’ayant plus, dans l’une non plus que dans l’autre, le pouvoir de mettre des obstacles à l’action du gouvernement.

je ne puis m’empêcher de faire ici une remarque qui est peut-être hors de mon sujet, c’est qu’il est très-rare de trouver, dans des pays commerçants, de très-anciennes familles qui aient possédé de père en fils, pendant un grand nombre de générations, un domaine considérable. Il n’y a, au contraire, rien de plus commun dans les pays qui ont peu de commerce, tels que le pays de Galles ou les montagnes de l’Écosse. Les histoires arabes sont, à ce qu’il paraît, toutes remplies de généalogies, et il y a une histoire écrite par un khan de Tartares[1], qui a été traduite en plusieurs langues d’Europe, et qui ne contient presque pas autre chose ; preuve que chez ces peuples les anciennes familles sont très-communes. Dans des pays où un homme riche ne peut dépenser son revenu qu’à faire vivre autant de gens qu’il en peut nourrir, il n’est pas dans le cas de se laisser aller trop loin, et il est bien rare que sa bienveillance l’emporte au point de lui en faire entretenir plus qu’il ne peut. Mais dans les pays où il a occasion de dépenser pour sa personne les revenus les plus considérables, il arrive souvent que sa dépense n’a pas de bornes, parce que souvent sa vanité ou cet amour pour sa personne n’en a aucunes. C’est pourquoi, dans les pays commerçants, il arrive rarement que les richesses demeurent longtemps dans

  1. Histoire généalogique des Tartares, par Abulghazi Rahadur, kan de Khowaresm ; traduite en français. Leyde, 1729 ; 1 vol. in-12.