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les bestiaux et les instruments de labourage : en un mot, tout le capital nécessaire pour pouvoir cultiver la ferme. Le produit se partageait par égales portions entre le propriétaire et le fermier, après qu’on en avait prélevé ce qui était nécessaire à l’entretien de ce capital, qui était rendu au propriétaire quand le fermier quittait la métairie ou en était renvoyé.

Une terre exploitée par de pareils tenanciers est, à bien dire, cultivée aux frais du propriétaire, tout comme celle qu’exploitent des esclaves. Il y a cependant entre ces deux espèces de cultivateurs une différence fort essentielle. Ces tenanciers, étant des hommes libres, sont capables d’acquérir des propriétés ; et ayant une certaine portion du produit de la terre, ils ont un intérêt sensible à ce que la totalité du produit s’élève le plus possible, afin de grossir la portion qui leur revient. Un esclave, au contraire, qui ne peut rien gagner que sa subsistance, ne cherche que sa commodité, et fait produire à la terre le moins possible au-delà de cette subsistance.

Si la tenue en servage vint par degrés à se détruire dans la majeure partie de l’Europe, il est vraisemblable que ce fut en partie à cause de la mauvaise culture qui en résultait, et en partie parce que les serfs, encouragés à cet égard par le souverain, qui était jaloux des grands seigneurs, empiétèrent successivement sur l’autorité de leurs maîtres, jusqu’au point d’avoir rendu à la fin, à ce qu’il semble, cette espèce de servitude tout à fait incommode. Toutefois, le temps et la manière dont s’opéra cette importante révolution, sont deux points des plus obscurs de l’histoire moderne. L’Église de Rome réclame l’honneur d’y avoir beaucoup contribué, et il est constant que, dès le douzième siècle, Alexandre III publia une bulle pour l’affranchissement général des esclaves. Il semble cependant que ce fut plutôt une pieuse exhortation aux fidèles, qu’une loi qui entraînât de leur part une rigoureuse obéissance. La servitude n’en subsista pas moins presque partout pendant encore plusieurs siècles, jusqu’à ce qu’enfin elle fut successivement abolie par l’effet combiné des deux intérêts dont nous avons parlé, celui du propriétaire, d’une part, et celui du souverain, de l’autre. Un serf affranchi auquel on permettait de rester en possession de la terre qu’il cultivait, n’ayant pas de capital en propre, ne pouvait exploiter que par le moyen de celui que le propriétaire lui avançait et, par conséquent, il dut être ce qu’on appelle en France un métayer.

Cependant il ne pouvait pas être de l’intérêt même de cette dernière es-