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se rendent les habitants de la campagne pour échanger leur produit brut contre du produit manufacturé. C’est ce commerce qui fournit aux habitants de la ville et les matières de leur travail, et les moyens de leur subsistance. La quantité d’ouvrage fait qu’ils vendent aux habitants de la campagne détermine nécessairement la quantité de matières et de vivres qu’ils achètent. Ainsi, ni leur occupation ni leur subsistance ne peuvent se multiplier en raison de la demande que fait la campagne d’ouvrage fait, et cette demande ne peut elle-même se multiplier qu’en raison de l’extension et de l’amélioration de la culture. Si les institutions humaines n’eussent jamais troublé le cours naturel des choses, les progrès des villes en richesses et en population auraient donc, dans toute société politique, marché à la suite et en proportion de la culture et de l’amélioration de la campagne ou du territoire environnant.

Dans nos colonies de l’Amérique septentrionale, où l’on peut encore se procurer des terres à cultiver à des conditions faciles, il ne s’est jusqu’ici établi, dans aucune de leurs villes, de manufactures pour la vente au loin. Dans ce pays, quand un artisan a amassé un peu plus de fonds qu’il ne lui en faut pour faire aller le commerce avec les gens de la campagne voisine, en fournitures de son métier, il ne cherche pas à monter, avec ce capital, une fabrique pour étendre sa vente plus au loin, mais il l’emploie à acheter de la terre inculte et à la mettre en valeur. D’artisan il devient planteur ; ni le haut prix des salaires, ni les moyens que le pays offre aux artisans de se procurer de l’aisance, ne peuvent le décider à travailler pour autrui plutôt que pour lui-même. Il sent qu’un artisan est le serviteur des maîtres qui le font vivre, mais qu’un colon qui cultive sa propre terre, et qui trouve dans le travail de sa famille de quoi satisfaire aux premiers besoins de la vie, est vraiment son maître et vit indépendant du monde entier.

Au contraire, dans les pays où il n’y a pas de terres incultes, ou du moins qu’on puisse se procurer à des conditions faciles, tout artisan qui a amassé plus de fonds qu’il ne saurait en employer dans les affaires qui peuvent se présenter aux environs, cherche à créer des produits propres à être vendus sur un marché plus éloigné. Le forgeron élève une fabrique de fer ; le tisserand se fait manufacturier en toiles ou en laineries. Avec le temps, ces différentes manufactures viennent à se subdiviser par degrés, et par ce moyen elles se perfectionnent de mille manières dont on peut aisément se faire idée, et qu’il est conséquemment inutile d’expliquer davantage.