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mais l’exercice de la liberté naturelle de quelques individus, qui pourrait compromettre la sûreté générale de la société, est et doit être restreint par les lois, dans tout gouvernement possible, dans le plus libre comme dans le plus despotique. L’obligation imposée de bâtir des murs mitoyens pour empêcher la communication du feu, est une violation de la liberté naturelle, pré­cisément du même genre que les règlements que nous proposons ici pour le commerce de banque.

Un papier-monnaie qui consiste en billets de banque émis par des gens du crédit le plus solide, payables à la première demande et sans condition quelconque, et payés effectivement toujours comptant à l’instant de la présentation[1], est à tous égards d’une valeur égale à la monnaie d’or et d’argent, puisqu’à tout moment on peut en faire de la monnaie d’or et d’argent. Tout ce qui se vend ou s’achète avec ce papier doit néces­sairement se vendre et s’acheter à aussi bon marché qu’avec de l’or et de l’argent[2].

  1. La monnaie de papier ne peut pas circuler d’une manière sûre sans cette condition. Le remboursement immédiat des espèces est la seule garantie qui existe contre l’excès des émissions. Les directeurs d’une banque, quelque droites que soient leurs intentions, n’ont pas de thermomètre infaillible des besoins de la circulation, et il est hors de doute qu’un papier non remboursable en espèces se multipliera tôt ou tard avec exagération. La Banque d’Angleterre, quelque temps après la suspension de ses payements, conserva une grande mesure à cet égard ; mais bientôt ses billets excédèrent tellement les besoins du commerce, qu’ils perdirent environ 40 pour 100, malgré les lois rendues pour leur conserver leur valeur nominale.
    Buchanan.
    .
  2. Il semble que le seul moyen de protéger le public contre l’insolvabilité des banquiers soit de les contraindre à donner des garanties pour le payement de leurs billets ; mais cette mesure ne remédierait pas aux fluctuations qui se manifestent dans l’approvisionnement de la monnaie, et qui doivent avoir lieu aussi longtemps que la circulation sera servie par des émetteurs différents. On sait que ces fluctuations produisent le plus grand mal.
    Mac Culloch.

    Une circulation de papier conversible en espèces à la volonté du porteur ne doit essuyer aucune diminution de valeur par le discrédit ou l’excès, car la sécurité peut toujours être constatée par une demande en payement, et, dans le cas d’une émission surabondante, le papier émis avec excès serait renvoyé à la banque pour y être échangé contre des espèces. Ainsi, un billet d’une livre ou une promesse de payer une livre, ne sera jamais échangée pour moins de sa valeur en espèces, tant que l’obligation première de payer sur demande conservera sa force.

    Aux premiers symptômes d’une baisse dans la valeur de ce billet, on s’adressera à la banque pour l’accomplissement de sa promesse ; elle sera poursuivie pour le remboursement en espèces jusqu’à ce que le papier, se trouvant moins abondant, recouvre sa valeur primitive. Si la banque persiste à émettre de nouveau ses billets remboursés, elle s’expose à un écoulement continuel d’espèces pendant tout le temps que l’excès du papier encombrera la circulation.

    Là où une banque n’est pas obligée de payer en espèces, la circulation entière est livrée à la discrétion de ses directeurs. Dans de telles circonstances, il n’existe aucun remède contre une sur-émission, parce que la banque qui a le pouvoir de refuser des espèces, est protégée contre tout retour de ses billets superflus et dépréciés. Mais il se peut qu’une banque n’abuse pas de pouvoirs aussi étendus, et que, réservant son privilège de refus pour les cas d’extrême gêne, elle rembourse ceux de ses billets que la marche naturelle des affaires renvoie à ses bureaux. Dans cette hypothèse, et si aucun soupçon ne plane sur son crédit, son papier n’éprouvera aucune dépréciation. C’est pourquoi la possibilité d’une conversion immédiate en espèces n’est pas absolument essentielle à sa valeur. La conversion offre certainement la meilleure sécurité contre une émission exagérée que l’on peut considérer comme cause évidente de dépréciation ; mais là où le papier est soutenu par de puissants capitaux et n’est pas répandu à l’excès, il conservera toute sa valeur, quoique n’étant convertible en espèces qu’à la discrétion de la banque.

    Le service de la circulation en papier se faisant à peu de frais, ce dernier se répand bientôt dans un pays à l’exclusion de la monnaie, qui est, à la longue, encaissée par les banquiers pour satisfaire aux demandes éventuelles de remboursement. Dans la circulation de ce pays (l’Angleterre), la monnaie a été presque entièrement remplacée par le papier, dont la masse parait s’être fortement accrue pendant ce court intervalle de paix qui suivit la guerre d’Amérique. Aussi, vers cette époque, vit-on des banques s’élever sur toutes les parties du territoire.

    Les avantages du papier, comme intermédiaire d’échanges, ressortent d’une manière assez claire des remarques précédentes ; mais il faut observer qu’il n’est jamais, pour cette fonction, un agent aussi sûr que la monnaie, car il repose entièrement sur le crédit, dont la chute est nécessairement suivie d’une perturbation générale dans le commerce. C’est principalement par l’escompte des lettres de change que le papier entre en circulation ; et le marchand qui reçoit de l’argent contre ses traites, étendant proportionnellement le cercle de ses opérations, devient graduellement tributaire des banques pour les espèces nécessaires à ses affaires, tandis que les banques à leur tour relèvent de la confiance publique pour la circulation de leurs billets. Le banquier substitue un instrument d’échange de bas prix à un autre plus dispendieux, et, comme ses profits consistent à le prêter aux mêmes conditions, il est naturellement porté à accroitre la circulation de son papier, et, sur la foi de son crédit, à diminuer les réserves destinées aux remboursements.

    Tant que la confiance générale domine, il ne peut résulter aucun mal de ce système de crédit si compliqué. Les bank-notes circuleront librement ; les demandes d’espèces seront rares, et les effets des négociants seront immédiatement convertibles en argent. Mais quand la confiance s’ébranle, les banques sont exposées, par le discrédit inévitable de leur papier, à de continuelles demandes en remboursement. Pour éviter cette crise, elles diminuent la circulation de leurs billets ; tandis que le négociant, subitement dépourvu de ses ressources antérieures, ne peut soutenir son crédit et se trouve ainsi réduit aux plus graves embarras. Les demandes d’espèces dans le pays convergent graduellement vers la capitale, les banquiers convertissant en espèces les titres qu’ils possèdent habituellement dans les fonds publics et autres valeurs de l’État, et s’adressant à la banque d’Angleterre pour les fonds nécessaires. Gênée par l’émission croissante de ses espèces, la banque réduit la circulation de son papier ; les transactions de la capitale, jusque-là effectuées avec la plus minime quantité d’argent possible, sont conséquemment altérées, et le désordre ainsi provoqué dans le centre s’étend rapidement jusqu’aux points les plus éloignés de ce vaste système de commerce d’argent. Pour cette solidarité mutuelle que créent le crédit et la confiance, chaque négociant entraîne les autres dans son destin : la contagion de la banqueroute se répand, et, dans cette commotion générale, les plus vastes établissements commerciaux peuvent s’écrouler.

    Toutes ces fatales conséquences se développèrent dans ce pays pendant l’alarme commerciale de 1792. La rareté de l’argent et le discrédit du papier occasionnèrent de nombreuses banqueroutes, en même temps qu’une demande générale d’espèces à laquelle la banque d’Angleterre fut impérieusement appelée à satisfaire. Comme cette demande dérivait de l’alarme qui avait discrédité le papier, il était évident que pendant toute la durée de cette panique, la circulation même la plus limitée de ses billets, continuellement émis et continuellement retournés, suffirait à enlever à la banque une masse indéfinie d’espèces ; et c’est pourquoi la marche rationnelle de la banque consistait à accroître l’émission de son papier dans le but de ranimer la confiance du commerce, la seule digue qu’il y eût à opposer aux demandes en remboursement. Mais, au lieu de secourir le négoce, soit par une émission plus forte de son papier, soit par tout autre moyen, la banque refusa d’entendre celles des banques de province qui demandaient assistance. Dans ces circonstances, le parlement intervint pour soulager les négociants qui manquaient d’argent, et offrit de prêter, sur gages valables, des bons de l’échiquier jusqu’à concurrence de 5,000,000 de livres, s’il était nécessaire. Sur cette somme, 3,855,624 livres furent soumissionnées. Après que la plus grande partie des offres eut été retirée ou rejetée, la somme définitivement accordée se monta à 2,903,000 livres, lesquelles furent remboursées, la majorité avant l’échéance, et le reste à des époques déterminées, sans difficulté ou détresse apparente.

    Cette salutaire mesure ranima bientôt la confiance publique, qui ne subit aucune nouvelle atteinte jusqu’à l’an 1795, époque à laquelle les directeurs de la banque d’Angleterre ayant, dans le courant de l’année, fait des avances extraordinaires au gouvernement, jugèrent nécessaire de diminuer les sommes allouées aux exigences du commerce. Les transactions de la métropole furent conséquemment dérangées, et la menace d’une invasion, continuellement exprimée par l’ennemi pendant l’année 1796, répandit une panique générale qui fut promptement suivie du discrédit des bank-notes et d’une demande en argent.

    Dans le nord de l’Angleterre, plusieurs banques furent dans la nécessité de suspendre leurs payements en espèces, et l’effet de ces faillites s’étendit rapidement à la capitale, de telle sorte que, vers le commencement de l’année 1797, la banque d’Angleterre subit une demande alarmante d’espèces, occasionnée d’abord par les efforts des banques de province en faveur de leur crédit chancelant, et secondement par les retours de ses propres billets frappés de discrédit. Avant cette époque, les directeurs avaient plus d’une fois démontré au chancelier de l’échiquier combien la banque se trouvait embarrassée par la diffusion de ses espèces ; mais alors, sérieusement effrayés, ils lui communiquèrent, le jeudi 21 février, la réduction positive qu’avait subie son fonds, afin qu’il pût plus librement aviser aux mesures que réclamait une crise aussi dangereuse. Pendant le reste de la semaine, les demandes continuèrent & s’accumuler avec une telle rapidité que, quoique la perte d’espèces eût été ruineuse dans les quatre premiers jours, elle fut surpassée par celle des deux jours suivants, et jusqu’à la dernière heure, les demandes continuèrent à s’accroître dans cette rapide progression. La nécessité de relever la banque altérée par ces ruineux remboursements était devenue manifeste, et le dimanche, les directeurs s’étant réunis par un rendez-vous avec le chancelier de l’Échiquier et les autres ministres, le conseil rendit, séance tenante, un arrêt qui prohibait tous payements ultérieurs en espèces.

    Après la suspension des payements en argent par la banque, l’état de la circulation fut fréquemment exposé au parlement ; et un comité de la chambre des communes, nommé en 1810, pour rechercher les causes du haut prix des lingots, fut d’accord, après un examen laborieux de faits palpables, de l’attribuer à une sur-émission de billets de banque suivie de leur dépréciation immédiate.

    Quand la banque d’Angleterre suspendit pour la première fois ses payements en espèces, la loi encouragea si fortement la circulation de ses billets, qu’un débiteur qui les offrait en payement était protégé contre toute contrainte, alors même que son créancier, par le droit commun des contrats, pouvait exiger le payement en guinées, monnaie légale du pays. En 1810, les billets de banque, par les progrès de la dépréciation, commencèrent à s’échanger communément pour moins de leur valeur nominale en espèces. Ainsi 25 et 26 schellings en papier balançaient une guinée ; et quoique le parlement eût à cette même époque décrété que la valeur du papier conserverait le taux primitif d’émission, une loi fut jugée nécessaire pour arrêter les échanges qu’on en faisait ouvertement sous escompte contre l’argent. À cet effet, des peines sévères atteignirent les échanges du papier contre les guinées au taux du marché : et les fermiers qui offraient des billets de banque en payement de leurs rentes étaient en même temps protégés contre la saisie, quoiqu’ils fussent toujours sous le coup de poursuites en justice. En 1811 fut rendu un acte protégeant le débiteur qui offrait un payement en billets de la banque d’Angleterre, contre toutes poursuites ultérieures. Par ce même acte, le papier déprécié devint une base légale pour la fixation des dettes existantes, abstraction faite de sa valeur, et tous les créanciers éprouvèrent, en conséquence, des pertes proportionnées aux variations qu’avait subies la monnaie dans laquelle on les remboursait.
    Buchanan.