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titude du fait, quant au temps ni quant à la somme. Dans d’autres circonstances, cette grande compagnie s’est vue réduite à la nécessité de faire ses payements en pièces de six pence[1][2].

  1. Petite monnaie d’argent de la valeur de 50 centimes.
  2. La crise la plus importante dans l’histoire de la circulation de papier de la Grande-Bretagne eut lieu en 1797. En partie par suite des événements résultant de la guerre où nous étions alors engagés, des prêts à l’empereur d’Allemagne, des traites faites sur le trésor par les agents anglais au dehors, et en partie, et principalement peut-être, par suite des larges avances accordées au gouvernement par la banque d’Angleterre, le change devint onéreux en 1795, et, cette année, ainsi que les années suivantes, il fut demandé à la banque des quantités énormes en espèces. Il n’est pas douteux cependant que la dernière crise ne fût entièrement due à des causes politiques. Des bruits d’invasion, et même de descentes qui auraient eu lieu sur les côtes, acquirent une certaine gravité pendant la fin de l’année 1796 et le commencement de 1797. Cette alarme provoqua chez beaucoup de particuliers, mais surtout chez les petits fermiers et les marchands en détail, un vif désir de convertir la plus grande partie possible de leur fortune en espèces. Une foule redoutable se précipita sur la plupart des banques de province ; et la banqueroute de quelques-uns de ces établissements à Newcastle, ainsi qu’en d’autres parties du royaume, imprima une force nouvelle à la première panique. La banque d’Angleterre fut assaillie de tous les points du territoire par des demandes d’argent, et le fonds d’espèces et de lingots renfermés dans ses coffres, qui s’était élevé en mars 1795 à 7,940,000 livres, se trouvait réduit, le samedi 25 février 1797, à 1,272,000 livres, avec la perspective d’une violente irruption pour le lundi suivant. Dans cette douloureuse circonstance, le conseil privé se réunit et décida que les payements en espèces seraient suspendus à la banque jusqu’à ce que le parlement eût pu statuer. À cet effet, un ordre du conseil fut promulgué le dimanche 20 février 1797.

    Aussitôt que commença la suspension, les principaux négociants, banquiers et armateurs de Londres signèrent la résolution expresse d’accepter les billets de la banque d’Angleterre, et se portèrent caution des efforts qu’ils tenteraient pour les faire accepter des autres. Cette résolution prise conformément à l’état officiel des affaires de la banque qui fut rendu public, jointe à l’emploi de ses billets dans les payements publics, prévint toute interruption dans leur circulation ; et, grâce à la modération qui présida aux émissions, ils continuèrent pendant trois ans à être parfaitement équivalents à l’or.

    La première baisse dans la valeur des billets de banque comparés à l’or commença vers la fin de 1800. Les faibles récoltes de cette année amenèrent une exportation considérable de métaux précieux ; mais au lieu de diminuer leurs émissions comme le leur ordonnaient les vrais principes, et comme ils eussent été obligés de le faire dans le cas où on leur eût imposé l’obligation de payer en argent, les directeurs ajoutèrent encore à la quantité de leurs billets existants, et la conséquence immédiate fut que ceux-ci subirent une dépréciation de 8 pour 100 comparés avec l’or. Mais bientôt après ils reprirent leur valeur ; et de 1803 à 1808 inclusivement, ils n’offraient plus qu’un escompte de 2 livres 13 sch. 3 deniers pour 100. En 1809 et 1810 cependant, les directeurs parurent avoir méprisé tous les principes qui avaient jusque-là gouverné leurs émissions. La quantité moyenne de bank-notes en circulation, qui n’avait jamais dépassé 17 millions 1/2, ni été au-dessous de 16 millions 1/2 dans aucune des années de 1802 à 1808 inclusivement, s’éleva en 1809 à 18,927,833 livres, et en 1810 à 22,541,523 livres. Les émissions des banques de province s’accrurent dans un rapport encore plus grand ; et comme il ne se manifesta pas un développement relatif dans les affaires du pays, l’escompte sur les bank-notes s’éleva, de 2 liv. 13 sch. 2 deniers vers le commencement de 1809, à 13 livres 9 schellings 6 deniers en 1810. Cette chute extraordinaire dans la valeur du papier comparée à celle de l’or, jointe comme elle le fut à une baisse égale dans le change, excita au plus haut point l’attention, et en février 1810, un comité de la Chambre des communes fut désigné pour rechercher les causes du haut prix des lingots d’or, et de l’état du change. Le comité consulta plusieurs négociants et banquiers, et son rapport, principalement rédigé par M. Francis Norver, renferme une habile réfutation des chiffres et des doctrines posés par ceux qui soutenaient que la baisse du change et le haut prix des lingots devaient être entièrement attribués à nos dépenses au dehors et à l’état spécial de nos relations avec les autres puissances, et ne tenaient nullement aux quantités additionnelles de papier qui étaient venues grossir la circulation. Mais la Chambre des communes refusa de sanctionner le projet par lequel le comité invitait la banque à reprendre ses payements en espèces au bout de deux ans. Aussi en mai 1811, époque à laquelle les guinées emportaient couramment une prime, et où les bank-notes éprouvaient un escompte avoué de plus de 10 pour 100 comparés aux lingots d’or, la Chambre des communes adopta, à une grande majorité, la résolution proposée par M. Vansittart (actuellement lord Bexley), déclarant que les engagements de la banque d’Angleterre avaient été jusqu’alors, et étaient encore en ce moment considérés dans l’opinion publique comme équivalents à la monnaie légale du royaume.

    Cette résolution, tellement extraordinaire qu’elle était contraire au simple bon sens, dégagea les directeurs de la banque de toute crainte relativement à l’intervention du Parlement, et les encouragea à accroître le nombre de leurs billets en circulation. Les émissions des banques provinciales s’augmentèrent encore plus rapidement que celles de la banque d’Angleterre. La facilité d’être admis à l’escompte fut telle, que des individus qui pouvaient à peine payer le timbre de leurs billets réussirent très-fréquemment à obtenir de vastes capitaux ; et comme ils ne risquaient rien personnellement, ils se livrèrent audacieusement aux spéculations les plus hasardées. M. Wakefield, dont la position lui offrit tant d’occasions de recueillir des renseignements exacts, informa le comité d’agriculture, en 1821, que « jusqu’à l’année 1813, il existait des banques sur presque tous les points du territoire, qui forçaient l’entrée de leur papier dans la circulation au prix d’énormes dépenses pour elles-mêmes, et, en beaucoup de cas, au prix de leur ruine. » Et parmi les diverses réponses qui furent adressées aux enquêtes du conseil d’agriculture en 1816 par les citoyens les plus intelligents des différents districts du pays, il en est à peine une dans laquelle l’émission exagérée des billets de banque ne soit pas particulièrement désignée comme l’une des causes prédominantes de la hausse, sans antécédent encore, qui avait atteint les rentes et les prix.

    Le prix du blé s’était élevé à un chiffre extraordinaire pendant les cinq années qui finirent en 1813. Mais partie en raison de la brillante récolte de cette année, partie, et principalement peut-être, par suite de l’ouverture des ports hollandais et du renouvellement des relations avec le continent, les prix fléchirent considérablement vers la fin de l’année 1813 et le commencement de 1814. Et cette baisse ayant produit un manque de confiance, et répandu l’alarme parmi les banques de province et leurs clients, détermina une destruction de papier de province qui n’a pu être égalée que par celle de 1825. En 1814, 1815 et 1816, on ne vit pas moins de 240 banques suspendre leurs payements, et 89 accusations de banqueroute furent lancées contre ces établissements, et cela dans le rapport d’une accusation contre 10 banques 1/2 de province existant en 1813. Les faillites qui s’ouvrirent alors furent les plus désastreuses, car elles atteignaient principalement les classes ouvrières, et dévoraient ainsi en un moment les fruits d’une longue vie de travail et d’économie. Des milliers d’individus, qui avaient en 1812 rêvé l’aisance, se trouvèrent dépourvus de toute véritable propriété, et plongés, comme par enchantement, sans qu’il y eût faute de leur part, dans l’abîme de la pauvreté.

    La destruction du papier des banques de province en 1814, 1815 et 1816, en réduisant la masse totale mise en circulation, éleva sa valeur, en 1816, à une presque égalité avec l’or. Et cette hausse ayant matériellement facilité un retour aux payements en espèces, on commença à être généralement convaincu de l’opportunité qu’il y aurait à rapporter le décret sur les payements en argent de la banque d’Angleterre. Ceci fut effectué en 1819 par l’acte 59 de George III, chap. 78, communément appelé bill de Peel, parce qu’il avait été proposé et obtenu à la Chambre des communes par sir Robert Peel.

    On sera justement étonné que malgré les leçons à puiser dans les banqueroutes de 1793, 1814, 1815 et 1816 occasionnées d’une manière si funeste par le système des banques de province, il ne fut fait aucun pas en 1819, alors que les restrictions sur les payements en espèces s’effacèrent, pour reconstituer ce système et le fonder sur des bases plus solides. Les nations sont des écoliers lents et rétifs, et il semble qu’une expérience complémentaire était nécessaire pour convaincre le parlement et le peuple d’Angleterre qu’il existait quelque chose de défectueux dans un système qui, dans deux circonstances antérieures, avait inondé le pays de banqueroutes, et qui décerne à tout individu, même pauvre ou sans principes, mais qui se sent porté à être banquier, le droit d’émettre des billets qui serviront comme monnaie dans les transactions habituelles de la société. La crise qui survint en 1823 et 1826 fut le résultat naturel de cet état de choses, et eût pu être prévue par tout individu instruit des principes sur lesquels doivent se baser les opérations des banques, ou de l’histoire précédente de ces banques dans le pays.

    Ces événements persuadèrent enfin le parlement et le public de ce dont ils eussent dû être convaincus longtemps avant, c’est-à-dire que le système des banques privées en Angleterre et dans les Galles était au plus haut degré faible et vicieux, et qu’il était impérieusement nécessaire de le réformer et le fortifier. Dans ce dessein, l’acte de 1708 limitant le nombre des associés d’une banque à six, fut rapporté avec le consentement de la banque d’Angleterre. Permission fut accordée pour établir des joint-stock banks, banques à fonds réunis ou par actions, ou des banques composées d’un nombre illimité d’actionnaires, pour l’émission de billets payables sur tous les points du territoire au delà d’un rayon de soixante-cinq milles autour de Londres. On autorisa en même temps l’institution, à Londres, de joint-stock banks pour les dépôts seulement, ou banques destinées à prendre soin de l’argent de leurs commettants. Après les restrictions imposées aux payements en espèces, en 1797, la banque d’Angleterre commença à émettre, pour la première fois, des billets d’une livre, opération dans laquelle elle fut imitée par la plupart des banques de province. La première retira ses billets d’une livre peu après la reprise des paiements en espèces, en 1821 ; mais les billets similaires des banques de province continuèrent à circuler, et formèrent un des principaux canaux par lesquels elles faisaient pénétrer leur papier dans la circulation. En 1820 cependant, l’émission des billets d’une livre fut définitivement prohibée après une certaine époque spécifiée en Angleterre et dans les Galles ; et, depuis 1829, il ne fut plus permis de créer des billets de moins de cinq livres.

    La dernière de ces mesures réparatrices, c’est-à-dire la suppression des billets d’une livre, a indubitablement fermé une des voies les plus aisées et les plus sûres dont se servaient les classes inférieures des banques de province pour écouler leur papier, et elle a été sous ce rapport très-avantageuse. Mais un grand nombre d’autres routes leur demeurent ouvertes ; et l’exemple de 1792-93, alors qu’il n’existait point de billets au-dessous de cinq livres en circulation, démontre victorieusement que la suppression des billets d’une livre n’offre aucune sécurité contre les sur-émissions, les paniques, contre rien enfin, sinon contre une banqueroute universelle.

    Ce fut cependant de la seconde mesure, celle autorisant l’établissement des joint-stock banks, qu’on attendait les plus grands avantages. Peut-être serait-ce une exagération que d’affirmer que ces espérances ont été complètement déçues ; mais, si quelques attentes ont été réalisées, elles sont bien peu importantes. Il aurait été, en effet, facile de prédire, à l’origine de cette institution, comme cela eut lieu, du reste, que le seul établissement des joint-stock banks ne fournirait aucun remède contre les maux primitivement inhérents à notre système financier. Une banque avec sept, soixante-dix ou sept cents associés peut n’être pas appelée à plus de crédit qu’une autre banque avec cinq ou six, et peut-être même à moins. La fortune des associés d’une banque privée peut excéder celle des associés d’une vaste banque par actions ; et il est probable que les opérations de la plus petite banque étant conduites par les intéressés eux-mêmes, le seront plus prudemment et plus économiquement que celles d’une grande banque, qui doivent nécessairement être confiées à des agents sur lesquels ne plane qu’un contrôle inefficace. On ne peut concevoir de plus grande erreur que celle qui décide que parce qu’une banque a un plus grand nombre d’associés, elle est plus digne de la confiance publique. Celle-ci doit dépendre de leur richesse et de leur intelligence, mais non de leur nombre : ce serait substituer la masse au mérite. La richesse seule ne peut suffire à mettre en rapport les émissions de papier avec les besoins. Les joint-stock banks demeurent aussi loin, et, si cela est possible, plus loin même de ce critérium que les banques privées. C’est, en effet, la plus grossière des erreurs et des illusions, que de supposer qu’il est possible de faire disparaître les fluctuations dans la masse et la valeur de la monnaie, par cela seul qu’elle sera fournie par différents agents. Tant qu’un individu ou une réunion d’individus, quelque tarés qu’ils puissent être, jouiront du privilège royal d’émettre du papier sans autorisation ni obstacles, on verra ce papier s’accroître démesurément aux époques de confiance, et disparaître aussitôt que les prix et la confiance s’ébranleront. Si l’on désire que le pays soit à jamais dévoré par une fièvre intermittente et livré tantôt aux accès de sur-excitation, tantôt à un état d’atonie qui en est la suite inévitable, il n’est pas de meilleur moyen à employer que notre système financier actuel. Mais nous pensons que le lecteur se joindra à nous, dans la pensée qu’une fièvre de cette nature est aussi fatale au corps politique qu’au corps physique ; et que si l’on n’opère une cure radicale, elle paralysera et détruira le malade.
    Mac Culloch.