Page:Smith - Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Blanqui, 1843, I.djvu/44

Cette page a été validée par deux contributeurs.

humaine nuit à la population d’un pays sous un double rapport ; d’abord en dégradant les facultés intellectuelles de l’ouvrier qui se trouve réduit au mouvement uniforme et continu d’une simple machine, et secondement en diminuant de plus en plus le nombre des ouvriers entretenus par l’industrie nationale. De ces deux effets nuisibles, le premier a été remarqué plusieurs fois ; l’autre, qui l’a moins été, paraîtra encore plus sensible par un exemple.

Je suppose donc qu’un fabricant de couteaux de Sheffield ait quarante ouvriers, qui, au moyen d’une habile distribution des tâches et le secours des machines, viennent à bout de faite par jour dix douzaines de couteaux qui se vendent en France une guinée ou 25 fr. la douzaine. En travaillant vingt-cinq jours par mois, le produit de cette fabrique sera de 72,000 fr. par an, dont un tiers ira au salaire des ouvriers, et les deux autres tiers, après avoir remplacé au fabricant ses matières premières, lui donneront le surplus pour intérêts et profits des capitaux fixe et circulant mis dans son entreprise. Que le produit de cette manufacture soit échangé en France contre une valeur égale en blés, formant environ la quantité de 9,000 quintaux (lesquels n’entreront vraisemblablement jamais en Angleterre et seront un objet de spéculation pour quelque autre négociant anglais auquel le fabricant de Sheffield les cédera, et serviront à la consommation de quelque pays étranger), le résultat final de cette opération, quelque profitable qu’elle soit pour le fabricant anglais, sera extrêmement peu avantageux à l’accroissement de la puissance de sa nation. Cet emploi de l’industrie et du capital anglais aura fait subsister quarante ouvriers et l’entrepreneur de l’ouvrage ; mais l’emploi correspondant d’industrie et de capital qui aura travaillé en France à fournir un équivalent, y aura fait subsister au moins 3,000 personnes : car, pour pouvoir disposer de 9,000 quintaux de blé, il a fallu nécessairement en faire produire à la terre environ trois fois autant.

Par la nature même de l’industrie anglaise et par la direction forcée que lui impriment les circonstances les plus impérieuses, les capitaux productifs doivent se porter naturellement par préférence vers le commerce étranger, le moins avantageux de tous pour le pays, et principalement au commerce du produit manufacturé contre le produit brut, celui de tous les commerces étrangers le plus nuisible à la population et à la puissance réelle du peuple qui s’y livre, puis-