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plus exacte que celle que celui-ci a des siens. C’est avec cette connaissance supérieure de leurs propres intérêts qu’ils ont souvent surpris sa générosité, et qu’ils l’ont induit à abandonner à la fois la défense de son propre intérêt et celle de l’intérêt public, en persuadant à sa trop crédule honnêteté que c’était leur intérêt, et non le sien, qui était le bien général.

Cependant, l’intérêt particulier de ceux qui exercent une branche particulière de commerce ou de manufacture est toujours, à quelques égards, différent et même contraire à celui du public. L’intérêt du marchand est toujours d’agrandir le marché et de restreindre la concurrence des vendeurs. Il peut souvent convenir assez au bien général d’agrandir le marché, mais de restreindre la concurrence des vendeurs lui est toujours contraire, et ne peut servir à rien, sinon à mettre les marchands à même de hausser leur profit au-dessus de ce qu’il serait naturellement, et de lever, pour leur propre compte, un tribut injuste sur leurs concitoyens. Toute proposition d’une loi nouvelle ou d’un règlement de commerce, qui vient de la part de cette classe de gens, doit toujours être reçue avec la plus grande défiance, et ne jamais être adoptée qu’après un long et sérieux examen, auquel il faut apporter, je ne dis pas seulement la plus scrupuleuse, mais la plus soupçonneuse attention. Cette proposition vient d’une classe de gens dont l’intérêt ne saurait jamais être exactement le même que l’intérêt de la société, qui ont, en général, intérêt à tromper le public et même à le surcharger et qui, en conséquence, ont déjà fait l’un et l’autre en beaucoup d’occasions[1].

  1. Cette remarque ne s’applique-t-elle pas avec une égale force aux propriétaires fonciers qui, craignant que le blé, cette marchandise dont ils avaient intérêt à enfler la valeur, ne pût se vendre à un prix assez élevé sur le marché national, obtinrent, par loi, une prime pour ceux qui l’exporteraient ; et qui, malgré la détresse où le pays a toujours été plongé depuis lors par la cherté des subsistances, s’efforcèrent d’arrêter les approvisionnements extérieurs, et cela, dans le seul but de profiter, par le haut prix des grains, des souffrances dont ils accablaient la société ? La vérité est que les différentes classes dans la société sont sujettes à se laisser dominer par leurs intérêts privés, et qu’elles hésitent rarement à les préférer lorsqu’ils se trouvent en opposition avec le bien général*. Buchanan.

    *. Qu’aurait dit Buchanan, s’il avait assisté, dans notre pays et dans notre temps, aux saturnales du régime prohibitif et aux mensonges de nos enquêtes commerciales ? A. B.