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personne ne consentira à leur prêter sans retirer de son argent un intérêt proportionné, non-seulement au service que cet argent peut rendre, mais encore aux risques auxquels on s’expose en éludant la loi. M. de Montesquieu attribue le haut intérêt de l’argent chez tous les peuples mahométans, non pas à leur pauvreté, mais en partie au danger de la contravention, et en partie à la difficulté de recouvrer la dette.

Le taux le plus bas des profits ordinaires des capitaux doit toujours dépasser un peu ce qu’il faut pour compenser les pertes accidentelles auxquelles est exposé chaque emploi de capital. Ce surplus constitue seulement, à vrai dire, le profit ou le bénéfice net. Ce qu’on nomme profit brut comprend souvent, non-seulement ce surplus, mais encore ce qu’on retient pour la compensation de ces pertes extraordinaires. L’intérêt que l’emprunteur peut payer est en proportion du bénéfice net seulement.

Il faut encore que le taux le plus bas de l’intérêt ordinaire dépasse aussi de quelque chose ce qui est nécessaire pour compenser les pertes accidentelles qui résultent du prêt, même quand il est fait sans imprudence. Sans ce surplus, il n’y aurait que l’amitié ou la charité qui pourraient engager à prêter.

Dans un pays qui serait parvenu au comble de la richesse, où il y aurait dans chaque branche particulière d’industrie la plus grande quantité de capital qu’elle puisse absorber, le taux ordinaire du profit net serait très-peu élevé ; par conséquent, le taux de l’intérêt ordinaire que ce profit pourrait payer serait trop bas pour qu’il fût possible, excepté aux personnes riches, extrêmement riches, de vivre de l’intérêt de leur argent. Tous les gens de fortune bornée ou médiocre seraient obligés de diriger eux-mêmes l’emploi de leurs capitaux. Il faudrait absolument que tout homme fût occupé dans les affaires ou intéressé dans quelque genre d’industrie. Tel est, à peu près, à ce qu’il paraît, l’état de la Hollande. Là, le bon ton ne défend pas à un homme de pratiquer les affaires. La nécessité en a fait presque à tout le monde une habitude, et partout c’est la coutume générale qui règle le bon ton. S’il est ridicule de ne pas s’habiller comme les autres, il ne l’est pas moins de ne pas faire la chose que tout le monde fait. De même qu’un homme d’une profession civile paraît fort déplacé dans un camp ou dans une garnison, et court même risque d’y être peu respecté, il en est de même d’un homme désœuvré au milieu d’une société de gens livrés aux affaires.