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dans l’histoire, dans les arts, dans les lettres, avec une sagacité merveilleuse et la loupe à la main. Il les analyse avec patience, les tourne et les retourne en tous sens, et se perd quelquefois avec elles dans un dédale de digressions. On ne peut s’empêcher d’admirer, néanmoins, l’honnêteté de ses maximes, la richesse de ses observations et le choix heureux de ses exemples. Sa Théorie des sentiments moraux, incomplète à beaucoup d’égards, comme tous les systèmes philosophiques, produisit une grande sensation lorsqu’elle parut pour la première fois en 1759[1]. Jusqu’alors Adam Smith ne s’était pas fait connaître comme écrivain, et il n’existait de lui que deux articles insérés dans une revue éphémère qui cessa de paraître après la publication du second numéro. L’un de ces articles, consacré à la critique du grand Dictionnaire de Johnson, avait été remarqué par sa facture pleine de délicatesse et par des nuances très-heureusement saisies. La Théorie des sentiments moraux, bientôt suivie d’une Dissertation sur l’origine des langues, plaça le philosophe de Glasgow à un très-haut degré dans l’opinion. On put dès lors juger de ses leçons avec plus de sûreté qu’on ne l’avait encore fait dans les amphithéâtres, et cette épreuve difficile tourna entièrement à son honneur. Adam Smith était revenu depuis près de quatre ans à Glasgow, lorsqu’on lui proposa d’accompagner le jeune duc de Buccleugh dans un voyage sur le continent, vers la fin de 1763. Dans ce premier voyage,

  1. Voici dans quels termes plaisants son ami Hume lui rendait compte du succès de la Théorie des sentiments moraux « Mon cher monsieur Smith, disposez votre âme à la tranquillité ; montrez-vous philosophe pratique comme vous l’êtes par état ; pensez à la légèreté, à la témérité des jugements ordinaires des hommes, et souvenez-vous que Phocion soupçonnait toujours qu’il avait dit quelque sottise quand il se voyait accueilli par les applaudissements de la multitude. Supposant donc que, par ces réflexions, vous êtes préparé à tout, j’en viens enfin à vous annoncer que votre livre a éprouvé le plus fâcheux revers, car le public semble disposé à l’applaudir avec excès. Il était attendu par les sots avec impatience, et la tourbe des gens de lettres commence déjà à chanter très-haut ses louanges. Trois évêques passèrent hier à la boutique du libraire pour l’acheter et pour s’informer de l’auteur. Charles Townsend, qui passe pour le premier juge d’Angleterre, est si épris de cet ouvrage, qu’il a dit à Oswald qu’il voudrait confier à l’auteur l’éducation du duc de Buccleugh, et qu’il saurait mettre à ses soins un prix capable de le déterminer. » (Lettre du 12 avril 1759.)