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se trouvent privés d’occupation, et ils enchérissent au rabais les uns sur les autres pour s’en procurer ; ce qui baisse à la fois le prix réel et le prix pécuniaire du travail[1]. En 1740, année de disette extraordinaire, un grand nombre d’ouvriers consentaient à travailler pour la seule nourriture. Dans les années d’abondance qui succédèrent, il fut plus difficile de se procurer des domestiques et des ouvriers.

La disette d’une année de cherté, en diminuant la demande du travail, tend à en faire baisser le prix, comme la cherté des vivres tend à le hausser. Au contraire, l’abondance d’une année de bon marché, en augmentant cette demande, tend à élever le prix du travail, comme le bon marché des vivres tend à le faire baisser. Dans les variations ordinaires du prix des vivres, ces deux causes opposées semblent se contrebalancer l’une l’autre ; et c’est là probablement ce qui explique pourquoi les salaires du travail sont partout beaucoup plus fixes et plus constants que le prix des vivres.

L’augmentation qui survient dans les salaires du travail augmente nécessairement le prix de beaucoup de marchandises en haussant cette partie du prix qui se résout en salaires, et elle tend d’autant à diminuer la consommation tant intérieure qu’extérieure de ces marchandises. Cependant, la même cause qui fait hausser les salaires du travail, l’accroissement des capitaux, tend à augmenter sa puissance productive, et à faire produire à une plus petite quantité de travail une plus grande

  1. Lorsque les denrées sont chères en même temps que la main-d’œuvre est à bas prix ; lorsque, par conséquent, les ouvriers, forcés par la concurrence, se contentent du nécessaire pour vivre ; lorsqu’ils retranchent sur toutes leurs jouissances et toutes leurs heures de repos ; que leur existence est un combat continuel contre la misère, les prix sont réellement bas, et leur ténuité est une calamité nationale. De tels ouvriers créent bien aussi une portion de richesse échangeable ; ils emploient bien le capital national, et ils donnent au fabricant des bénéfices ; mais cet accroissement de richesses est acheté trop cher aux dépens de l’humanité. On a reconnu, dès longtemps, que la trop grande division du terrain amenait dans la population agricole un état de misère universelle, dans lequel l’ouvrier, par le plus grand travail, n’obtenait pas un salaire suffisant pour vivre ; et quoique de l’activité à laquelle il était forcé il résultât une augmentation de produit brut, on a reconnu que cette richesse, insuffisante pour ceux qu’elle devait nourrir, était une calamité nationale. La même chose est vraie de la même manière pour les ouvriers des manufactures. La nation s’appauvrit au lieu de s’enrichir, lorsque son revenu augmente comme un, et sa population comme deux. Sismondi.