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subsistance. Le nombre de ceux qui cherchent de l’emploi est plus grand que le nombre des hommes qui peuvent en trouver facilement ; beaucoup d’entre eux sont disposés à en accepter à des conditions inférieures aux conditions ordinaires, et les salaires, tant des domestiques que des journaliers, baissent souvent dans les années de cherté.

Ainsi, les maîtres de tout genre font souvent des marchés plus avantageux avec leurs domestiques et ouvriers dans des années de cherté, que dans celles d’abondance, et dans les premières ils les trouvent plus soumis et plus dociles. Ils doivent donc naturellement vanter ces années comme plus favorables à l’industrie. D’ailleurs, les propriétaires et les fermiers, deux des classes de maîtres les plus étendues, ont une autre raison pour aimer les années de cherté. Les rentes des uns et les profits des autres dépendent beaucoup du prix des denrées. On ne peut rien imaginer de plus absurde que de croire qu’en général les hommes travailleront moins quand ils travailleront pour leur propre compte, que quand ils travailleront pour le compte d’autrui. Un pauvre ouvrier indépendant sera généralement plus laborieux que ne le sera même un ouvrier qui travaille à la pièce. L’un jouit de tout le produit de son industrie, l’autre le partage avec un maître. L’un, dans son état d’isolement et d’indépendance, est moins exposé à être tenté par les mauvaises compagnies qui perdent si souvent les mœurs de l’autre, dans les grandes manufactures. La supériorité de l’ouvrier indépendant doit être encore bien plus grande sur ces ouvriers qui sont loués au mois ou à l’année, et qui ont toujours les mêmes salaires et la même subsistance, qu’ils fassent soit beaucoup, soit peu d’ouvrage. Or, les années d’abondance tendent à augmenter la proportion des ouvriers indépendants sur les domestiques et journaliers, et les années de cherté tendent à la diminuer.

Un auteur français de beaucoup de savoir et de sagacité, M. Messance, receveur des tailles de l’élection de Saint-Étienne[1], essaie de démontrer que les pauvres travaillent plus dans les années de bas prix que dans les années de cherté, et pour cela il compare la quantité et la valeur des marchandises fabriquées, dans ces deux circonstances contraires, en trois différentes manufactures : l’une de gros draps établie à Elbeuf, une de toiles et une autre de soieries, établies toutes trois dans l’étendue de la généralité de Rouen. Il paraît, d’après son calcul relevé

  1. Recherches sur la population de Lyon, etc., imprimées en 1768.