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vail personnel ou de toute la valeur que ce travail ajoute à la matière sur laquelle il s’exerce. Ce produit renferme ce qui fait d’ordinaire deux revenus distincts, appartenant à deux personnes distinctes, les profits du capital et les salaires du travail.

Ces cas-là toutefois ne sont pas communs, et dans tous les pays de l’Europe, pour un ouvrier indépendant, il y en a vingt qui servent sous un maître ; et partout on entend, par salaires du travail, ce qu’ils sont communément quand l’ouvrier et le propriétaire du capital qui lui donne de l’emploi sont deux personnes distinctes.

C’est par la convention qui se fait habituellement entre ces deux personnes, dont l’intérêt n’est nullement le même, que se détermine le taux commun des salaires. Les ouvriers désirent gagner le plus possible ; les maîtres, donner le moins qu’ils peuvent ; les premiers sont disposés à se concerter pour élever les salaires, les seconds pour les abaisser.

Il n’est pas difficile de prévoir lequel des deux partis, dans toutes les circonstances ordinaires, doit avoir l’avantage dans le débat, et imposer forcément à l’autre toutes ses conditions. Les maîtres, étant en moindre nombre, peuvent se concerter plus aisément ; et de plus, la loi les autorise à se concerter entre eux, ou au moins ne le leur interdit pas, tandis qu’elle l’interdit aux ouvriers. Nous n’avons point d’actes du parlement contre les ligues qui tendent à abaisser le prix du travail ; mais nous en avons beaucoup contre celles qui tendent à le faire hausser[1]. Dans toutes ces luttes, les maîtres sont en état de tenir ferme plus longtemps. Un propriétaire, un fermier, un maître fabricant ou marchand, pourraient en général, sans occuper un seul ouvrier, vivre un an ou deux sur les fonds qu’ils ont déjà amassés. Beaucoup d’ouvriers ne pourraient pas subsister sans travail une semaine, très-peu un mois, et à peine un seul une année entière. À la longue, il se peut que le maître ait autant besoin de l’ouvrier que celui-ci a besoin du maître ; mais le besoin du premier n’est pas si pressant.

On n’entend guère parler, dit-on, de ligues entre les maîtres, et tous les jours on parle de celles des ouvriers. Mais il faudrait ne connaître ni le monde ni la matière dont il s’agit, pour s’imaginer que les maîtres se liguent rarement entre eux. Les maîtres sont en tout temps et par-

  1. Les lois destinées à réprimer les coalitions volontaires des ouvriers, pour élever les salaires ou régler les conditions auxquelles ils vendent leur travail, ont été rapportées par un statut de la cinquième année de George IV, chapitre lxxv. Mac Culloch.